Afin de mener à bien les expériences de physiologie hyperbare et subaquatique, il fallut trouver une espèce animale proche de l’home pour expérimenter les effets de la décompression. Le choix de Haldane se porta sur la chèvre parce que c’était un animal facile à se procurer en Grande-Bretagne, et que sa physiologie était parfaitement connue. En particulier son rapport masse grasse / masse maigre et son taux de perfusion (débit cardiaque / masse corporelle) sont voisins de ceux de l’homme.

Une étude préalable avait montré que cet animal était capable de présenter des accidents de décompression ayant la même expression que chez l’homme, et en particulier les bends. Le primate fut éliminé du fait de son attitude peu calme face à la douleur…

La démarche de Haldane et de ses collaborateurs a été de rechercher la relation entre une pression P1, à laquelle séjourne un animal pendant un temps prolongé, et la pression P2 à laquelle il faut décomprimer rapidement pour qu’il développe un accident de décompression.

Pour commencer, ils exposèrent des chèvres à une profondeur de 45 pieds (14 m.) durant 2 heures puis les décomprimèrent rapidement : seules quelques chèvres ressentaient, semblait-il, quelques douleurs. Ils en conclurent donc qu’une différence de pression de 1 ATA pouvait être tolérée.

Dans une deuxième série d’expérience, ils exposèrent des chèvres à 6 ATA. Contrairement à leur première hypothèse, ils observèrent qu’il était possible de la décomprimer jusqu’à 3 ATA sans accidents; de même, après exposition prolongée à 8 ATA, il fut possible de décomprimer les animaux jusqu’à 4 ATA. La conclusion s’imposait d’elle-même : le facteur pathogène n’était pas la différence de pression P1-P2, mais le rapport P1/P2. Avec P1/P2 égal à 2, aucun signe n’était à craindre. Haldane émit alors l’hypothèse suivante :

Hypothèse 1

Si tous les tissus d’un organisme sont équilibrés avec la pression ambiante à la suite d’un séjour prolongé à cette pression, alors le rapport 2/1 est applicable dans toutes les situations de décompression, pour tous les tissus de cet organisme.

Dans la réalité, les séjours des scaphandriers ou des tubistes ne duraient pas nécessairement aussi longtemps, et le retour à la pression atmosphérique ne d’effectuait pas par réductions successives de la pression de moitié. Il était donc nécessaire de déterminer comment se faisaient les échanges dans l’organisme lorsque le séjour était interrompu avant que tous les tissus fussent saturés.

Pour cela, on considère un homme respirant de l’air à la pression atmosphérique normale, qui est brutalement élevé au temps t=0 à la pression P1. Cette nouvelle pression de l’air se transmet instantanément aux gaz contenus dans les alvéoles pulmonaires. L’azote de ce mélange se dissoudra donc dans le tissu pulmonaire, puis dans la circulation pulmonaire. On sait que les molécules de gaz mettent 0.01 seconde pour atteindre le capillaire et que le temps de présence du sang dans le lit capillaire pulmonaire est d’environ 1 seconde. Haldane en déduit donc une deuxième hypothèse : 

Hypothèse 2

A la sortie des poumons, le sang artériel est complètement équilibré avec la pression des gaz régnant dans les voies aériennes. Si les pressions de gaz respirés changent, alors les pressions des gaz dissous dans le sang artériel changeront instantanément de la même façon.

 Le sang artériel distribue ainsi les gaz dissous à tous les tissus de l’organisme. Pour pourvoir calculer ce qui se passe dans un tissu donné, Haldane fait les hypothèses supplémentaires suivantes :

Hypothèse 3

La pression des gaz dissous est uniforme à l’intérieur d’un tissu. En effet, les vitesses de diffusion des moécules de gaz sont très grandes au regard des distances intercapillaires, et pourvu que le tissu soit de composition homogène, l’existence de gradient de pression de gaz n’y est pas possible
Hypothèse 4

Par analogie avec les échanges pulmonaires, on considère qu’à la sortie du tissu, le sang veineux est complètement équilibré avec la pression du gaz dissous dans le tissu. Par conséquent, puisque la pression du gaz est homogène dans le tissu, la pression du gaz dissous dans le sang veineux est égale à la pression du gaz dissous dans le tissu.
Hypothèse 5

Le tissu est isolé, il n’échange de gaz qu’avec la circulation sanguine et elle seule.

Dans ces conditions, on considère un tissu de volume V dans lequel un gaz, ayant un coefficient de solubilité s2 est dissout à la pression P1 (figure 1). Il est vascularisé à un débit de volume v (ml/s). Le débit sanguin afférent (artériel) est forcément égal au débit sanguin efférent (veineux) sans quoi le tissu serait le siège d’une variation de volume. Le gaz est dissout dans le sag avec un coefficient de solublité s1.

Figure 1

A l’instant t=0, la pression du gaz dissous dans le sang artériel change pour une valeur P1. Le débit de gaz entrant dans le tissu est donc de P1s1v, alors que le débit de gaz quittant le tissu est Ps1v.

La quantité de gaz accumulée dans le tissu est égale à la différence entre la quantité entrante et la quantité sortante, soit (P1-P)s1v. Si pendant un intervalle de temps Δt, la pression a varié d’une valeur ΔP, la quantité de gaz dissous dans le tissu a varié de ΔPs2V. Comme le système est isolé, ces deux termes sont égaux et on peut écrire :

ΔP/Δt=(P1-P)s1v/s2.V 
Equation 1

Le rapport s1/s2 est constant. Le rapport v/V représente le débit sanguin par unité de volume du tissu, c’est à dire le taux de perfusion.

La modélisation des échanges gazeux tissulaires selon Haldane formule donc le théorème fondamental suivant : la variation de pression de gaz dissous dans un tissu ne dépend que de son taux de perfusion. Or pour pouvoir intégrer l’égalité, il faut que le terme s1v/s2V soit constant, Haldane en fait l’hypothèse suivante :

Hypothèse 6

Pendant toute la durée de la plongée et de la désaturation, le taux de perfusion des différents tissus demeure constant.

 Si s1.v/s2.V= constante = k, alors l’égalité s’intègre pour donner finalement l’expression bien connue :

P=P1(1-e-kt)
Equation 2

Notons au passage que cette expression n’est vraie que pour P constant, c’est-à-dire pendant le séjour sur le fond ou au palier. Une des propriétés de la fonction exponentielle, est qu’elle peut se caractériser par sa période T=Log 2/k, intervalle de temps pendant lequel sa valeur double ou diminue de moitié. Haldane fit donc l’hypothèse complémentaire suivante :

Hypothèse 7

L’organisme est composé de 5 tissus, de périodes de 5, 10, 20, 40 et 75 minutes.

Les raisons pour lesquelles la période de 75 minutes a été choisie plutôt que 80 demeurent obscures. Une explication possible est que Haldane considérait ce tissu comme saturé à 95% au bout de 5 heures (4 périodes de 75 min). Haldane pensait en effet qu’il fallait seulement 4 périodes pour que le corps humain soit équilibré avec une nouvelle pression extérieure.

Haldane conçut trois tables séparées : la première concernait les plongées qui demandaient moins de 30 minutes de décompression, la seconde concernait celles qui demandaient plus de 30 minutes de décompression et la dernière concernait les plongées profondes de plus de 100 mètres. Toutes les décompressions étaient caractérisées par une remontée rapide jusqu’au premier palier puis une remontée lente des paliers à la surface : cette approche est restée longtemps valable.

Grâce à ce concept la Maladie De Décompression (MDD) s’explique ainsi :

  • Il y a saturation d’un tissu lorsque l’équilibre est atteint : égalité entre la pression du gaz libre et la tension du gaz dissous : autant de molécules de gaz à entrer qu’à sortir du tissu.
  • La désaturation d’un tissu survient lors de la décompression : les molécules de gaz inertes quittent les tissus, selon une courbe exponentielle inverse de la saturation.
  • La sursaturation est un état instable où la somme des pressions partielles des gaz dissous est supérieure à la pression ambiante : la vitesse de décompression excède la vitesse à laquelle le gaz inerte peut-être éliminé des tissus, la formation de bulles survient alors au-delà d’un certain seuil critique, défini par un coefficient de sursaturation (Ppartielle gaz dissous dans le tissu / P hydrostatique) voisin de 2.
  • Au cours de la plongée à l’air, à la descente, il y a compression des gaz inhalés : leur Pp augmente (Pp : Pression partielle). Il se créée un gradient de pression de l’alvéole vers les tissus via le sang avec augmentation de la PpAir, transmise à l’alvéole puis au sang puis à l’ensemble des tissus.
  • L’azote se dissout jusqu’à équilibre entre les différents compartiments et s’accumule donc dans les tissus.
  • La saturation est atteinte si la durée d’immersion est suffisamment longue et à une profondeur suffisante. Elle dépend aussi des différents tissus, définis par leurs périodes, ceux contenant des graisses ayant une affinité majorée pour l’azote par rapport à l’eau. Une importante vascularisation ou circulation (travail, chaleur, exercice…) favorisera de même la saturation.
  • A la remontée, se créée une décompression avec par conséquent un gradient de pression inverse et donc une redistribution des gaz des tissus vers le sang : c’est la désaturation grâce au relargage alvéolaire.

Elle peut être explosive si la remontée est trop rapide (gradient de pression trop important) avec sursaturation critique dépassée dans certains tissus : des bulles se forment in situ (intra vasculaires ou intratissulaires) probablement à partir de noyaux gazeux préexistants, générés par des mécanismes de cavitation et de frottements visqueux : tribonucléation. Elles sont ensuite drainées par la circulation veineuse. Théoriquement, les Pressions partielles des gaz artériels sont en équilibre avec celles des gaz alvéolaires : pas de sursaturation artérielle. Donc des bulles en réseaux artériel sont passées par un shunt droit / gauche (foramen ovale perméable).

Critique du modèle de Haldane

Le modèle de Haldane constitue la première approche de modélisation mathématique de la décompression. Mais il repose sur certaines hypothèses simplificatrices qui peuvent être discutées :

  • Le coefficient de sursaturation (hypothèse 1) est mis en défaut par sa validité limitée à un domaine d’application extrêmement étroit. Le fait qu’il soit inapplicable dans les décompressions de saturation en est la démonstration;
  • L’hypothèse 2 décrit les échanges pulmonaires de gaz inertes selon un modèle à perfusion limité. Or des expérimentations permettent d’émettre des réserves sur ce modèle.

En 1978, Giry et Coll ont mesuré, par spectrométrie de masse, les pressions partielles des gaz inertes dissous dans l’aorte d’animaux (lapins) placés en saturation à 4 ATA Le changement en échelon rectangulaire des gaz inhalés (remplacement de l’air par un mélange hélium-oxygène à 20% d’oxygène) montre que les pressions des gaz évoluent selon des fonctions sigmoïdes.

De plus, la somme des pressions partielles des gaz inertes dissous devient de façon transitoire supérieure à la pression atmosphérique ambiante, et donc à la somme de la pression partielle des gaz alvéolaires. Le calcul montre que cette sursaturation isobare ne peut être expliquée par l’inégalité des rapports ventilation/perfusion, ni par l’existence de shunts intra pulmonaires. On est donc conduit à envisager une limitation par diffusion des échanges alvéolo-capillaires de gaz inertes, ce qui revient à dire que contrairement à ce que pensait Haldane, les échanges gazeux ne sont pas complets en un seul passage, et que le sang artériel n’est pas en équilibre à la sortie des poumons, avec le gaz alvéolaire:

Il en est de même pour les échanges capillaro-tissulaire (hypothèse 4);

  • L’hypothèse 3 qui pose l’homogénéité d’un compartiment tissulaire est contredite par les expérimentations de Lightfoot et Coll. (1986) qui démontre que, quelle que soit la plus petite fraction de tissu vivant que l’on considère, il n’est pas possible de décrire les échanges de gaz inertes en son sein avec moins de deux exponentielles. Elles correspondent en fait à la solubilisation des gaz dans la fraction aqueuse et dans la fraction lipidique du tissu;
  • L’hypothèse 5 ne peut non plus se justifier sur le plan anatomophysiologique il n’existe aucune raison pour qu’un compartiment de l’organisme soit isolé de manière étanche des compartiments qui l’entourent. L’eau du milieu interstitiel suffit à elle seule pour assurer la continuité matérielle;
  • L’hypothèse 6, que le taux de perfusion reste fixe pendant toute la durée de la plongée et de la décompression est une approximation qui ne peut se justifier que pour des plongées suivies de décompressions de courte durée (pas ou peu de palier);
  • L’hypothèse 7, illustre le caractère arbitraire du modèle construit par Haldane. Le nombre de compartiments n’a en effet aucune signification anatomophysiologique.

De plus, l’apparente symétrie mathématique des formules de saturations P=P1(1-e-kt) et de désaturations P=Pf.e-kt est étayée par la symétrie des deux courbes. L’équation définie pour la saturation est certainement utilisable. L’équation de la désaturation ne considère que la forme dissoute, le gaz dissous s’éliminant beaucoup plus vite que sous la forme bullaire ; la forme bullaire n’est pas prise en compte par la formule. Le gaz peut s’accumuler dans les tissus et il ne se retrouve plus sous forme dissoute dans le sang veineux. La courbe de désaturation n’est donc pas symétrique à celle de la saturation.

En conclusion, cette discussion aboutit à mettre en question un certain nombre d’idées toutes faites qui semblent s’être perpétuées de génération en génération de plongeur.

La première réalité est que le modèle de Haldane est biologiquement faux : il est en effet incapable, quelles que soient les triturations qu’on lui fasse subir, de décrire les phénomènes tels qu’ils sont enregistrés chez l’être vivant.

Ne pas tenir compte de certains faits : diffusion, hétérogénéité des tissus, mauvaise vascularisation de certains tissus… ne signifie pas que Haldane les méconnaissait. Mais les considérant comme négligeables ou du moins bien approximés par son modèle, la détermination des paramètres comme la sursaturation critique suffisait à gommer les difficultés. Le travail de Haldane ne doit être considéré ni comme un modèle, ni comme une théorie, mais beaucoup plus simplement comme une technique de calcul.

Malgré tout ceci, la méthode de Haldane reste l’outil le plus employé pour le calcul des décompressions. Aucune autre méthode de calcul n’est arrivée à la détrôner, ni à faire la preuve de sa supériorité. La méthode de Haldane, grâce à son approximation et l’indéterminisme de ses paramètres, permet de s’adapter à toutes les situations.


Références :

  • Boycott AE & all, Prevention of compressed air illness, J Hyg, Lond. 8, 342-343, 1908;
  • Meliet JL, Haldane s’est-il trompé ?, Institut national de plongée professionnelle, Marseille;
  • Hempleman HV, History of decompression procedures, Physiology and medecine of diving, 4trh ed., Ed P.B.Bennet, London, 1993.