Les transferts sanguins ou Blood Shift

Lors d’une plongée en apnée, on observe un transfert sanguin à deux reprises :

Lors de l’immersion :

  • La poussée d’Archimède, antiagoniste de la pesanteur, supprime les effets de cette dernière et facilite donc le retour veineux des parties déclives vers la partie céphalique du corps.
  • La pression hydrostatique dont la valeur augmente au fur et à mesure qu’on s’éloigne de la surface (donc plus importante au niveau des pieds que du thorax), crée un gradient de pression du bas vers le haut du corps.

Ces deux forces s’additionnent donc et créent un transfert du sang vers la partie supérieure du corps, et en particulier le thorax. On estime ce transfert de sang dû à l’immersion, compris entre 500 ml et 1 litre.

Ce transfert sanguin est interprété par l’organisme comme un accroissement de la masse sanguine (une partie des volorécepteurs est située au niveau de la petite circulation). Des mécanismes correcteurs sont alors mis en jeu entraînant une diurèse d’immersion.

A partir d’une certaine profondeuR, au cours de la descente, la pression hydrostatique augmente et le volume pulmonaire diminue (loi de Boyle-Mariotte), jusqu’à ce que la rigidité relative du thorax ne permette plus de réduire son volume : le volume pulmonaire est alors égal au volume résiduel. Au delà de cette profondeur (qui dépend du volume pulmonaire initial et du transfert sanguin à l’immersion), la pression intrathoracique devient négative par rapport à l’ambiance aquatique. Ce vide relatif attire alors vers le thorax une partie des viscères abdominaux mais l’élasticité du diaphragme est limitée ; le sang présent dans les gros vaisseaux et les capillaires pulmonaires est alors aspiré puis retenu dans la circulation pulmonaire, remplissant ainsi le vide thoracique naissant. Ce phénomène contribue à rigidifier le poumon (on parle de « poumon en érection »), ce qui va lui permettre de supporter des pressions encore plus importantes.

Ce second Blood Shift est également estimé entre 500 ml et 1 litre.

Ces Blood Shift peuvent entraîner des troubles du rythme ou de conduction cardiaques par distension des cavités cardiaques due à l’augmentation du retour veineux.

La bradycardie

L’immersion en apnée entraîne une bradycardie intense par mise en jeu accrue de l’action cardiomodératrice des nerfs vagues. Elle débute dès les premières secondes de l’immersion en apnée et atteint son intensité maximale à partir de la 20ème seconde d’immersion. Puis, elle reste stable ou peut même légèrement diminuer en fin d’apnée à cause des secousses respiratoires à glotte fermée lors de la phase de lutte.

Les mécanismes de la bradycardie

La bradycardie est le résultat de l’action combinée de l’immersion et de l’apnée elle-même.

Les effets de l’immersion

Des récepteurs thermiques cutanés sont disséminés sur l’ensemble de la peau, ils sont particulièrement abondants au niveau de la face (figure 20). Ils entraînent une bradycardie réflexe.

La zone péribuccale est plus sensible que le pourtour des narines, ce réflexe persiste donc chez le porteur de masque ; pourtant de nombreux apnéistes ne portent pas de masque entre autres pour conserver la sensibilité des narines à l’eau et au froid dans le but d’accroître leur bradycardie réflexe. Cette bradycardie d’immersion est surtout liée à la température de l’eau, elle est d’autant plus importante que l’eau est froide (figure 21), mais le contact avec l’eau joue également un rôle : en effet, même avec de l’eau à neutralité thermique, l’immersion de la face produit une bradycardie.

Les courbes montrent, pour chaque température, l’évolution temporelle de la fréquence cardiaque en pourcentage de la fréquence de repos.

Les effets de l’apnée

A l’air libre, l’apnée provoque une faible bradycardie. Cette bradycardie lors de l’apnée serait davantage due aux modifications de volume et de pressions pulmonaires qu’à l’hypercapnie dont l’effet bradycardisant est tardif. Lors de l’apnée en immersion, les deux effets s’additionnent.

Facteurs influençant la bradycardie

Elle est augmentée par :

  • le jeune âge : La bradycardie par immersion de la face est plus intense chez les sujets jeunes ;
  • le froid ;
  • un remplissage pulmonaire important en fin d’apnée : ce phénomène serait dû à l’intervention de récepteurs d’étirements situés dans la plèvre ;
  • l’entraînement : Les sujets pratiquant régulièrement la plongée en apnée présentent une bradycardie plus intense que les autres sportifs ; en particulier, Corriol et coll. ont montré que l’entraînement augmente la réponse bradycardique à l’apnée alors que la réponse à l’immersion de la face n’est pas améliorée ;
  • la profondeur : En ce qui concerne l’intervention de ce facteur, les résultats diffèrent ; Pour Liner, la bradycardie est accentuée avec la profondeur comparativement à une apnée réalisée en surface ; En effet, l’augmentation de la pression hydrostatique engendre une diminution du volume pulmonaire et une augmentation du retour veineux ; cette diminution va engendrer une baisse de la fréquence cardiaque afin de limiter l’hypertension artérielle ; au contraire, pour Corriol, la bradycardie est indépendante de la profondeur.

Elle est diminuée par :

  • l’exercice : il diminue la bradycardie sans l’annuler ; cela signifie que, au cours de la plongée en apnée, les impératifs de l’apnée l’emportent sur la nécessité du travail musculaire ;
  • la manœuvre de Valsalva (technique de compensation consistant à envoyer de l’air dans les trompes d’Eustache de façon à rétablir une pression équivalente de part et d’autre du tympan) : la bradycardie disparaît au profit d’une tachycardie si le sujet pratique une épreuve de Valsalva (Corriol) ; en effet, cette manœuvre crée une pression positive intrapulmonaire qui sollicite les récepteurs d’étirement parenchymateux (tachycardisants), mais relâche les récepteurs pleuraux (bradycardisants) ;
  • l’hyperventilation : elle serait une des causes de la tachycardie précédant l’apnée et retarderait ainsi de quelques secondes la bradycardie due à l’apnée en immersion (Corriol).

Intérêt de la bradycardie

La bradycardie est une adaptation de l’organisme à la plongée en apnée dans un but d’économie d’oxygène. On a pu observer chez les sujets présentant une bradycardie importante, une réduction de la consommation d’O2, ainsi qu’une désaturation moins rapide de l’hémoglobine. Par contre, les auteurs ne sont pas unanimes en ce qui concerne la relation entre l’intensité de la bradycardie et la durée de l’apnée.

La vasoconstriction périphérique

La vasoconstriction musculaire et cutanée observée au cours de l’apnée a un triple intérêt :

  • Le maintien de la pression artérielle, qui augmente même progressivement au cours de l’apnée (jusqu’à 20 % de sa valeur initiale). La vasoconstriction compense donc la bradycardie ;
  • Privilégier les organes « nobles » : la restriction de la circulation du sang dans les organes périphériques résistant bien et longtemps à l’asphyxie (muscles, peau, rate), permet de réserver les bénéfices d’une circulation normale aux organes nobles (cerveau, cœur, poumons) ;
  • Au cours de l’apnée, la vasoconstriction musculaire permet de conserver sur le lieu de production les déchets acides résultant des métabolismes oxydatifs (CO2, lactates), retardant ainsi l’acidose métabolique jusqu’à la reprise respiratoire ; le muscle travaille en anaérobiose presque totalement pendant la plongée.

Au total, la bradycardie et la vasoconstriction sont regroupées sous le terme de « Diving response », dont le principal but est de protéger les organes nobles de l’hypoxie.

Anomalies électrocardiographiques

L’excitation vagale ralentit ou suspend le rythme sinusal (effet chronotrope négatif), mais augmente l’excitabilité ventriculaire (effet bathmotrope). Les anomalies ECG sont fréquentes lors de la plongée en apnée.

Une expérience menée par Olsen et Coll. a retrouvé vingt-trois fois des modifications ECG notables sur 30 périodes de plongée en apnée à 2,4 mètres de profondeur :

  • les arythmies les plus importantes survenaient alors en fin d’apnée ;
  • l’anomalie la plus fréquente est la diminution de l’amplitude de l’onde P ;
  • l’amplitude de l’onde T augmente souvent progressivement au cours de l’apnée ; cette modification de l’onde T disparaît lentement après la fin de l’apnée ;
  • un allongement de l’espace PQ (bloc auriculo-ventriculaire au premier degré) a pu être observé.

Une étude des arythmies survenant pendant la plongée en apnée a mis en évidence parmi les anomalies enregistrées :

  • des extrasystoles supraventriculaires (auriculaires et nodales) ;
  • des extrasystoles ventriculaires ;
  • des arythmies ventriculaires complexes.

Ces anomalies ont pu être observées au sec, mais elles sont vingt fois plus fréquentes en immersion. Ces auteurs suggèrent que l’immersion (même en l’absence d’apnée ou de stimulus froid) joue le principal rôle, par le remplissage accru de la petite circulation et des cavités cardiaques qu’elle provoque ; il en résulte un étirement des fibres myocardiques des cavités droites, surtout au niveau de l’oreillette, siège de réflexes complexes.

Ces arythmies pourraient rendre compte de certaines morts soudaines en immersion attribuées à des noyades.

En médecine de plongée, le test de Flack rend compte de l’adaptation cardiaque à une hyperpression thoracique : Après une inspiration profonde, le sujet souffle dans un tube et maintient une pression de 90 mm Hg ; en même temps, on pratique un E.C.G., l’augmentation de la pression intrathoracique entraîne une stase veineuse au niveau du cœur droit pouvant être à l’origine de trouble du rythme cardiaque.

Ce test est apprécié sur la durée de l’inspiration et les variations du rythme cardiaque.


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