La Trompe d’Eustache (T.E.) est une des clefs de la plongée. Ce fin canal en grande partie fibro-cartilagineux et au faible diamètre (de 1 mm à 3 mm) relie l’oreille moyenne au rhino-pharynx. Il conditionne l’aération et la ventilation de cette oreille. L’équipression du tympan avec le milieu ambiant est permise grâce au jeu de cette T.E.. Compenser consiste pour le plongeur à équilibrer la pression qui règne à l’intérieur de cette caisse d’oreille moyenne et celle régnant à l’extérieur. Plus de 80 % des accidents de plongée loisir sont relatifs à l’oreille, et c’est la trompe d’Eustache qui est au centre de ces conflits.

Les facteurs de perméabilité de cette trompe :

Ils sont bien connus, et sont importants à connaître pour le plongeur et le médecin de plongée.

  • tout d’abord la rectitude de son axe : seulement 30 % des personnes ont une trompe rectiligne et non sinueuse. L’étroitesse de son isthme, qui représente la jonction entre portion fibro-cartilagineuse et lit osseux de cette trompe, en est le point délicat.
  • plus important, la qualité de son appareil musculaire, les péristaphylins qui s’insèrent sur le voile du palais, et dont le mouvement synergique va permettre ainsi l’ouverture de la trompe.
  • encore plus important, sa muqueuse de type respiratoire à caractère sécrétoire et dont l’inflammation  et la congestion favorisent la production de mucus.
  • enfin, la position de son orifice pharyngien latéralement en arrière des fosses nasales au niveau da cavum, la rend très sensible à tout ce qui se passe dans le nez. Ceci est à l’origine de l’insufflation par la manoeuvre classique de Valsalva, mais explique la sensibilité de l’oreille aux rhumes, et les éventuels problèmes en cas de trouble ventilatoire du nez (tels une déviation septale ou une hypertrophie des cornets inférieurs).

On retiendra que 33 % des individus seulement ont une fonction tubaire strictement normale: à chaque déglutition se produit une entrée d’air compensatrice. 38 % ont une perméabilité moyenne et 29 % une perméabilité médiocre… Ces derniers groupes sont des groupes à risque, qui ont besoin de bien maîtriser les manoeuvres d’équipression en plongée.

L’exploration de la perméabilité tubaire :

En dehors de l’examen du tympan éventuellement au microscope, de sa mobilisation au spéculum de Siegle et de la réalisation d’une manoeuvre de Valsalva, l’examen fondamental chez le plongeur demeure sans conteste l’impédancemétrie. Cet examen, pratiqué en consultation ORL courante, apprécie l’élasticité du système tympano-ossiculaire, directement dépendante de l’équipression tubaire. Depuis 20 ans, il est utilisé couramment chez les plongeurs.

Pendant cet examen, on peut mesurer l’impact d’un Valsalva, mais il permet surtout d’obtenir un tympanogramme.  Cette courbe est le résultat des variations d’impédance de l’oreille moyenne lors de variations de pression appliquées dans le conduit auditif externe. Elle donne un reflet indirect du facteur tubaire, mais n’a pas une exhaustivité totale.

Cet examen est par ailleurs obligatoire chez l’enfant, dans certaines fédérations de plongée, dans le cadre de la visite de non contre-indication, afin de dépister certains dysfonctionnements tubaires classiques à cet âge, difficiles à appréhender au bilan clinique. La sonomanométrie tubaire serait l’examen idéal pour évaluer directement le degré de perméabilité de la trompe. Mais c’est une exploration non courante, sophistiquée et utilisée en laboratoire.

Enfin, l’exploration des fosses nasales et des ostiums tubaires au niveau du cavum a grandement bénéficié  de la fibroscopie nasale à l’endoscope souple, devenue de pratique banale en consultation ORL.

La fonction équipressive de la trompe :

Cette fonction équipressive de la T.E. agit à la pression atmosphérique. L’absorption continue par la muqueuse de l’air contenu dans l’oreille moyenne crée une dépression de 0,3 mm d’Hg par minute. Aussi se produit toutes les 2 à 3 minutes environ un mouvement de déglutition qui contribue à rétablir l’équipression. Cette déglutition spontanée ou volontaire permet l’ouverture physiologique de la trompe, par la mise en jeu des muscles péristaphylins externe et interne insérés sur le voile du palais, leveur et tenseur du voile, ce qui permet une rééquilibration rapide des pressions. A noter que jusqu’à 7 ans, la contraction de ces muscles demeure peu efficace, ce qui participe aux difficultés ORL de nombreux jeunes enfants.  Les exercices de protraction linguale, de diduction mandibulaire et surtout de mobilisation vélaire permettent cette ouverture physiologique. Ces éléments sont à la base des techniques de rééducation tubaire que nous aborderons plus loin.

En plongée, à la descente, la compression entraîne une diminution du volume aérien. Il faut avoir recours à des procédés plus ou moins actifs d’ouverture de la trompe pour compenser en insufflant de l’air du rhino-pharynx vers l’oreille. Si la descente est trop rapide, ou s’il y a un retard dans les manoeuvres, l’ouverture active de la trompe peut devenir impossible  (c’est le cas si le gradient de pression atteint  100 mm d’Hg). La trompe tend à se collaber avec un blocage tubaire. Mieux vaut remonter d’un mètre que forcer sur une manoeuvre. Se souvenir qu’une trompe forcée est une trompe qui se vengera en devenant moins perméable.

La manoeuvre de Valsalva, la plus connue n’est pas dénuée d’inconvénients pour l’oreille moyenne et interne, voire de risques d’hyperpression thoracique si elle est réalisée à la remontée, ce qui est non seulement illogique mais aberrant.  Nous ne reviendrons pas sur sa technique très vulgarisée, si ce n’est pour répéter qu’un Valsalva bien fait est un « non violent ».

La méthode de Frenzel, connue en aéronautique, est délicate à réaliser en plongée avec un détendeur ou un tuba en bouche. Elle consiste à produire une hyperpression dans le rhino-pharynx, par rétro-pulsion de la base de langue, à glotte fermée et à nez pincé.

 Une variante du Valsalva, moins traumatisante, est d’effectuer un Valsalva avec nez non pincé. L’expiration nasale d’un coup sec vient alors non pas buter sur le vestibule narinaire, mais au niveau de la chambre du masque de plongée qui recouvre le nez. Cette technique a l’avantage de ne pas nécessiter la pince des doigts, ce qui est utile quand les mains sont occupées, comme pour les photographes ou les moniteurs, et cette manoeuvre n’entraîne pas d’hyperpression thoracique et réduit les risques d’hyperpression tubo-tympanique. Nous l’enseignons avec d’excellents résultats depuis 10 ans.

Enfin, avec les méthodes dites passives d’équipression, la Béance Tubaire Volontaire (B.T.V.) développée par G. Delonca supprime toute surpression active et dangereuse. La finalité est d’avoir une trompe ouverte sans hyperpression. De la déglutition simple aux contractions isolées du voile, de la protraction de la mandibule au bâillement, cette prise de conscience de la musculature vélo – pharyngée conduit à cette technique de B.T.V..

C’est une véritable kinésithérapie qui nécessite un certain entraînement et qui s’adresse avec plus de facilité à des sujets dont la morphologie de la trompe d’Eustache est favorable, ce qui représente 1/3 de la population. C’est l’idéal, mais de ce fait de nombreux plongeurs n’arrivent pas à la pratiquer, et un certain nombre la réalisent de façon intuitive. Sans arriver à une béance quasi constante pendant la descente, cette gymnastique permet de faciliter grandement les manoeuvres actives, en mettant la trompe en position  favorable d’ouverture.

En plongée, à la remontée, lors de la décompression, la cavité de l’oreille moyenne étant fixe, l’augmentation du volume des gaz qui y sont contenus entraîne une surpression. La trompe va s’ouvrir passivement, vu sa conformation anatomique. Elle fonctionne comme une soupape à la remontée pour évacuer l’air en excès de l’oreille moyenne vers le rhino-pharynx et ceci dès que la surpression dépasse 10 à 20 mm d’Hg. Mais si à la descente ou suite à divers allers-retours la trompe a été forcée, l’ouverture peut ne pas se produire et entraîner un barotraumatisme ou un vertige alterno-barique. Il faut s’aider alors de déglutitions pour permettre sa béance, ou de la manoeuvre de Toynbee (mais surtout pas d’un Valsalva qui aggraverait le problème). Cette manoeuvre consiste en une déglutition et une inspiration nasale, nez pincé. Elle crée une dépression au niveau du rhino-pharynx qui favorise l’aspiration de l’air en excès contenu dans l’oreille moyenne.

Prise en charge des problèmes de perméabilité tubaire en plongée :

  • Les traitements médicaux : certains facteurs congestifs chroniques ORL peuvent être améliorés par des traitements à base de soufre. L’apparition récente d’aérosols manosoniques automatiques (AMSA) permettant l’insufflation des trompes d’Eustache avec divers produits est une utilisation intéressante en cas de facteur de dysperméabilité transitoire. Enfin, l’usage d’un vasoconstricteur nasal peut s’envisager de façon ponctuelle juste avant la plongée en cas de problème, à condition d’avertir le patient du danger d’automédication.
  • La chirurgie : le fonctionnement normal de la T.E. est intimement lié à celui des organes de voisinage, en particulier les fosses nasales. Le retentissement d’une déviation septale sur l’oreille a été démontré, 70% des sujets porteurs d’une déviation de cloison nasale ont une trompe hypotonique, avec une dépression endotympanique du côté de l’obstruction nasale. Elle traduit une dysfonction tubaire engendrée par les turbulences de l’air au niveau du rhino-pharynx. La prise en charge de ces déviations septales, de même que la prise en charge plus récente des hypertrophies de cornets inférieurs par turbinectomie chirurgicale ou par laser permet d’améliorer un certain nombre de problèmes tubaires. Mais cela ne résout pas tout. En effet il n’est pas rare de voir paradoxalement un sujet porteur d’une importante déviation septale plonger sans aucun problème et arriver à réaliser des Valsalva objectives à l’otoscopie.
  • La gymnastique tubaire : nous avons précédemment évoqué l’importance de cette question. Cette gymnastique est conseillée aux apnéistes, plongeurs confirmés, et moniteurs de plongée. Nous donnons en annexe pendant le congrès une fiche pratique d’exercices de gymnastique tubaire, telle que nous la faisons pratiquer depuis 13 ans, et une liste de dix commandements utiles pour les plongeurs. Nous ne redirons jamais assez que la compréhension des mécanismes et que l’éducation de sa trompe d’Eustache demeurent une aide précieuse, meilleurs garants, pour pratiquer plongée libre et plongée scaphandre, en toute sécurité pour les oreilles.


Références :

  • DELONCA G., SERRES P., DELONCA P. : Étude de la tympanométrie chez les plongeurs. Comm. congrès fr. ORL, Ed. Arnette. 1976, 57-63.
  • DELONCA P. : La pathologie ORL de la Plongée sous-marine. Thèse mèd. Nice, 1984.
  • KUMAZAWA T., HONJO I., HONDA K. : Aerodynamic pattern of eustachian tube dysfunction. Arch. Oto-Rhino-Laryng., 1977, 215, 317-323.
  • RENON P., JACQUIN M., DELONCA G. : Physiologie de l’oreille et plongée. Physiologie et médecine de la plongée, Éd. Ellipses, 1992, 12,219-225.
  • RIU R., FLOTTES L., BOUCHE J., et coll. : La physiologie de la trompe d’Eustache. Éd. Arnette, 1966.
  • SULTAN A., BISS R. : Précis d’impédancemétrie, Ste d’otologie pratique, Éd S.O.P, 1977.
  • TOUPET M. et coll. : Le vertige du grand bleu, revue d’ONO, n∞18, 1992, 7-9.