Rappels physiopathologiques

L’affinité du Monoxyde de Carbone, 200 à 250 fois supérieure à l’oxygène, pour l’hémoglobine le rend responsable d’une diminution du transport de l’oxygène aux cellules de l’organisme.

L’absorption du CO se fait exclusivement par voie pulmonaire, puis il diffuse rapidement à travers la barrière alvéolo-capillaire pour se dissoudre dans le plasma, pénétrer le globule rouge et se fixer sur l’hémoglobine formant la carboxyhémoglobine (HbCO), incapable alors de fixer et d’assurer le transport de l’oxygène.

De plus la courbe de dissociation de l’hémoglobine de Barcroft est déviée vers la gauche, ce qui diminue d’autant la délivrance périphérique de l’oxygène.

Au niveau tissulaire, le CO diffuse du plasma vers l’intérieur de la cellule et se fixe sur toutes les protéines héminiques.

Ainsi l’intoxication au CO est responsable d’une hypoxie périphérique hypoxémique par quatre mécanismes d’importance décroissante :

  • sanguine par diminution de la quantité d’oxygène transportée sur l’hémoglobine,
  • pulmonaire par diminution de la quantité d’oxygène présente dans l’alvéole,
  • périphérique par diminution des possibilités d’extraction tissulaire de l’oxygène et cellulaire par fixation du CO sur les hémoprotéines et les enzymes de la chaîne mitochondriale (myoglobine cytochrome A3, catalase, peroxydase) dont il bloque le fonctionnement, cette fixation s’accélérant en cas d’hypoxie associée ;
  • cardiogénique enfin, car l’atteinte myocardique entraîne une diminution du débit cardiaque.

Cette fixation tissulaire du CO étant d’autant plus rapide que la pression tissulaire en oxygène est plus basse, il y a mise en route d’un processus d’auto aggravation.

L’élimination sanguine du CO est :

  • lente en air ambiant (demi-vie de 320 minutes),
  • rapide lorsque le sujet respire 100 % d’oxygène (80 minutes),
  • et très rapide en oxygène à 3 ATA (23 minutes).

Symptomatologie

La symptomatologie est fonction du niveau d’HbCO, quoique variant grandement d’un sujet à l’autre. A titre indicatif,

HbCO 
0 à15%Pas de symptôme, Non-fumeur : 1 à 2 % (catabolisme de Hb, pollution), Fumeur : jusqu’à 15 % de façon transitoire
15 à 25% Céphalées, nausées, étourdissements, troubles visuels et/ou de concentration.
> 25%Anomalie à l’ECG (ischémie, arythmie)
> 30%Somnolence, convulsion, coma
> 60%décès

Si l’intoxication au CO est une urgence pour laquelle les indications thérapeutiques de l’OHB doivent être larges, non seulement du fait des manifestations aiguës mais des possibles complications neurologiques à distance : (Mathieu D.-11; Thom SR-12)

 Etat neurovégétatif à long terme dans les formes graves, mais surtout :

 Syndrome post intervallaire, dont la survenue après une période de latence, qui varie de 2 à 40 jours (moyenne 22,5 jours), n’est pas liée obligatoirement à la gravité clinique initiale. Ce phénomène semble secondaire à l’anoxie histotoxique (altération d’enzymes cellulaires qui perturbe le métabolisme de l’Oxygène au niveau du cerveau). Il s’agit d’une dégradation secondaire parfois dramatique des fonctions supérieures : troubles de la mémoire, troubles du comportement, modification de l’humeur ressemblant à une démence organique, céphalées chroniques . Dans 2/3 des cas, elle entraînera un handicap social grave. Chez l’enfant, on notera plus fréquemment une cécité corticale, une ataxie aiguë, des crises convulsives mais l’évolution sera plus souvent favorable.

Conduite à tenir devant une IOC

Sur les lieux de l’intoxication, après avoir retiré au plus vite la victime du milieu ambiant, il convient de rechercher d’autres personnes intoxiquées tout en se protégeant soi-même d’une intoxication possible. Il faudra rechercher la source de CO et la neutraliser de façon à éviter le sur-accident.

De fait, avec une concentration très élevée, les effets de l’ICO peuvent apparaître quelques minutes après le début de l’exposition et conduire à la perte de conscience avant tout autre symptôme.

L’oxygénothérapie administrée au masque à haute concentration permettant une FIO2 à 100% sera la plus précoce possible et maintenue en permanence jusqu’au centre hyperbare.

On relève la durée d’exposition aux toxiques, l’existence d’une intoxication concomitante (alcool, drogues) ainsi que l’usage du tabac. On recherche un retard de règles chez la femme.

L’examen neurologique sera complet, explorant la fonction mentale supérieure (orientation, jugement, mémoire, calcul) ;

Les symptômes détaillés sont relevés pour juger de l’évolution ultérieure.

A l’admission, sont pratiqués :

  • une radiographie du thorax,
  • un électrocardiogramme, ainsi que
  • les examens de laboratoire :
    • gaz artériels : acidose métabolique (signe de gravité) ;
    • hémogramme : anémie surajoutée ;
    • urée et créatinine sanguine : insuffisance rénale (rhabdomyolyse) ;
    • ionogramme : hypokaliémie fréquente ;
    • CPK : souvent augmenté par l’anoxie musculaire ;
    • recherche de toxique surtout dans un contexte d’autolyse.

Le dosage de l’HbCO reste le seul moyen d’affirmer le diagnostic.

Il sera pratiqué au plus tôt sur sang hépariné et si possible effectué sur le lieu de l’intoxication avant administration d’O2. Ceci est d’autant plus important que les délais d’acheminement des intoxiqués vers le centre hyperbare de Saint Pierre seront longs. Sinon il est à interpréter en fonction de la durée de l’oxygénation dont a bénéficié la victime.

Un taux supérieur à 10 % suffit – même chez le fumeur – qui ne pourrait atteindre ce taux qu’au décours immédiat d’une inhalation de tabac.

Un taux CO expiré peut-être rapidement obtenu par l’équipe du SMUR ou à l’admission du Service des Urgences.(13)

Les complications précoces seront dépistées :

  • Troubles du rythme cardiaque et troubles de la conduction,
  • Infarctus du myocarde chez le coronarien ou sur coronaires saines,
  • Détresse respiratoire souvent multifactorielle : inhalation, œdème pulmonaire hémodynamique ou lésionnel,
  • Rhabdomyolyse, syndrome de loge et Insuffisance rénale aiguë,
  • Rarement une hémorragie digestive, une pancréatite.

Indications de l’oxygénothérapie hyperbare dans l’IOC

Une fois exclus les patients relevant d’une contre-indication absolue à l’oxygénothérapie hyperbare (pneumothorax non drainé ; bronchospasme serré), pourront en bénéficier :

Tout patient ayant présenté un trouble de conscience même transitoire ou présentant un trouble neurologique objectif persistant ;

Toute femme enceinte. Chez la femme enceinte les protéines héminiques fœtales fixent plus le CO que celles de la mère occasionnant une hypoxie majorée. L’intoxication maternelle n’est donc pas un reflet fiable de l’atteinte fœtale. Le retentissement sur le fœtus est impossible à évaluer cliniquement ou sur le taux d’HbCO maternel. Le risque tératogène est connu touchant en particulier le système nerveux central et le risque de mort fœtale reste important, atteignant dans certaines séries 67 % des cas. Le recours à l’OHB, est donc systématique chez la femme enceinte, quel que soit l’état maternel.

L’indication sera large chez l’enfant.

Le caisson multiplace permettra enfin d’ accélérer la guérison pour les intoxications collectives.

Après une séance de 2,5 à 3 ATA durant 60 à 90 minutes; le patient est réévalué cliniquement. La persistance d’une symptomatologie neurologique invite à garder le patient sous oxygénothérapie normobare (ONB), qui supportera si nécessaire une éventuelle deuxième séance six heures après la fin de la première.

Pour les patients relevant de l’ONB, sa durée ne peut être inférieure à douze heures et la situation clinique sera toujours contrôlée à l’issue.


Références :

  1. Acute carbon monoxide poisoning. Risk of late sequelae and treament by hyperbaric oxygen. J Toxicol Clin. Toxicol.1985; 23(4-6): 315-24.Mathieu D. et al.
  2. Delayed neuropsychologic sequelae after carbon monoxide poisoning: prevention by treatment with hyperbaric oxygen. Ann Emerg Med. 1995 Apr; 25(4): 474-80.Thom SR, et al.
  3. Carbon Monoxide Poisoning associated with use of LPG-Powered (Propane) Forklifts in industrial settings-Iowa, 1998. JAMA, January 19, 2000-Vol 283, N°3.