La presque totalité des modèles de décompression repose sur le concept de Haldane. L’hypothèse de Haldane conduit à une solution dite exponentielle car la courbe représentative de la tension de gaz inerte en fonction du temps est en termes mathématiques ou physiques, une courbe exponentielle.


Pourtant nous montrerons que le modèle de Haldane est biologiquement faux, il est en effet incapable de décrire les phénomènes tels qu’ils sont enregistrés chez l’être vivant. Ne nous empressons pas d’en déduire que nos tables sont mauvaises ! Bien au contraire, les tables actuelles sont largement éprouvées pour les profils classiques, de même que les modèles haldaniens sous-jacents. En effet, aucune autre méthode de calcul n’est arrivée à détrôner Haldane, ni à faire la preuve de sa supériorité.


On trouvera donc en premier lieu un historique des modèles de décompression, avec une large discussion sur le concept de Haldane ; des descriptifs des différents concepts développés souvent des modèles haldaniens ainsi que l’approche probabiliste des phénomènes de décompression pratiquée et développée par l’école américaine.


L’incidence de la pression quant à l’apparition de certaines lésions a été constatée assez tôt dans l’histoire.
Au XVIIe siècle, Von Guericke inventa une pompe à dépression qui modifiait la pression atmosphérique (pompe à vide). Cette expérience fût reprise par Robert Boyle en 1670 qui enferma dans le récipient une vipère et qui la décomprima à l’aide de sa pompe : il observa alors qu’elle se débattait furieusement ; et présentait de remarquables bulles dans les liquides et diverses parties du corps, telle que l’humeur aqueuse de l’un de ses yeux…. Mais Boyle fut loin de relier ces accidents aux gaz inertes contenus dans l’air, et surtout à l’azote.

La première tentative sous-marine remarquable de l’époque fut conduite par Edmond Halley, astronome anglais (qui donna son nom à une fameuse comète) inventa en 1689 la première cloche.

Les seules observations faites à partir de ses expériences furent sur certains facteurs qui influençaient la décompression :

  • la composition des gaz inspirés (CO2 et O2) ;
  • la modification cardio-vasculaire due à la température (eau froide) et aux efforts inspiratoires générés par la pression hydrostatique ;
  • la stature des plongeurs ;
  • la forme physique.

C’est au dix-neuvième siècle que le problème se révèle crucial en termes économiques. L’essor de l’industrie, des chantiers navals, des constructions de ponts, des mines de charbon en terrain humide, nécessitent que des hommes travaillent sous des pressions supérieures à la pression atmosphérique. Qu’ils soient immergés (les fameux « pieds lourds » immortalisés par Jules Verne ou par Hergé) ou à sec (les ouvriers « tubistes »), les accidents sont fréquents.

Ainsi les premières descriptions d’accidents de décompression chez l’homme furent faites par Triger en 1841. Il observait des mineurs de charbon qui travaillaient en atmosphère pressurisée afin d’éviter des risques d’inondations – travail au sec à 20 m de fond pendant 7 heures.

Triger remarque qu’en décomprimant les mineurs, ils présentent des crampes et des douleurs dans les muscles. Leurs symptômes furent traités vigoureusement par de l’alcool à l’intérieur de leur corps … et en friction à l’extérieur !

Dès 1854, Belonie Pol et Thomas-Jules Watelle étudièrent de façon plus suivie les accidents de décompression et notèrent que le phénomène était associé à une baisse rapide de pression après un séjour en surpression. Ils s’aperçurent aussi qu’un retour en pression supérieure après un accident de décompression permettait de soulager certains symptômes. Ils ouvraient ainsi la voie des futurs caissons thérapeutiques.

Il faut attendre 1861 avec Bucquoy pour voir apparaître la première hypothèse sur les bulles : les gaz du sang…repassent à l’état libre sous l’influence de la décompression…et occasionnent des accidents comparables à ceux d’une injection d’air dans les veines et il conseille de prendre toutes les précautions nécessaires pour obtenir une décompression lente….

Paul Bert, après avoir effectué de 1870 à 1890 de nombreuses expériences sur des animaux qu’il autopsiait après leur décès, démontre dans sa publication en 1879 « la pression barométrique »1800 pages, que les bulles qui tuent sont composées essentiellement d’azote avec en plus 15 à 20 % de CO2. Il préconise alors la décompression brusque occasionne des accidents multiples plus ou moins graves, qui s’expliquent tous aisément par le dégagement, tant dans les liquides sanguins qu’au sein des tissus, de l’azote qui s’y était dissous en excès, à la faveur de la pression. Il préconise donc pour les ouvriers tubistes des temps de décompression en fonction de la pression de travail :

  • P à 2-3 ATA : ½ h de décompression ;
  • <P à 3-4 ATA : 1 h de décompression.

Il conseille de ne les laisser descendre qu’une fois par jour dans les tubes ; quant aux scaphandriers, il conseille de les décomprimer très lentement et de les maintenir un bon quart d’heure à moitié chemin et lorsqu’ils reviennent d’une plongée à 4 ATA de leur faire respirer de l’oxygène…aussitôt après leur retour à l’air libre et conclut ainsi : « on ne paie qu’en sortant ! »… Les travaux de Paul Bert orienteront d’ailleurs d’autres thèmes de la recherche concernant la réponse physiologique aux hautes pressions. C’est ainsi que par exemple une manifestation neurologique dans l’exposition à des pressions élevées d’oxygène, dite crise hyperoxique, est couramment nommée aujourd’hui « effet Paul Bert».

Malgré à l’époque les prémices d’une vitesse de remontée à respecter et une vague notion de durée de remontée, la survenue est continue.

Au début du siècle, aux USA, le nombre important de plongée avait permis à Keays de réunir une banque de données qu’il a utilisées afin d’établir les premiers résultats sur les accidents de décompression. Les « bends » représentaient 89 % des accidents répertoriés, le reste étant attribué aux accidents du système nerveux (central et médullaire). Les bends : (to bend : se courber) vient du nom en anglais donné aux travailleurs qui en 1871 construisirent le pont St Louis qui traverse le Mississipi, ou pour d’autre le pont de San Francisco. Ceux-ci sortaient des tubes sous pression en position courbée due aux douleurs articulaires qu’ils ressentaient. Il semblait donc que l’apparition de ces bends était le véritable problème et que, si on trouvait un moyen de les prévenir par des procédures de remontée sécurisantes, la majorité des accidents de décompression serait supprimée.

En 1907, la Royal Navy demanda donc à l’un de ses physiologistes de renom, J.S. Haldane, de lui établir ces procédures, après des plongées à l’air, jusqu’à une profondeur de 204 pieds (7.2 ATA = 62 mètres).


Réf. : Bert P, La pression barométrique – recherche de physiologie expérimentale, Masson, Paris, 1878