Oxygène et réparation tissulaire


Membres du jury

Niinikoski, Finlande (Président); ECHM ETRS; D. Bakker, Pays-Bas, T.Hunt, USA; F. Lind, Suède R. Mani, Royaume-Uni; D. Mathieu, France M. Romanelli, Italie; J. Schmutz, Suisse T. Wild, Autriche; F. Cronjè, Afrique du Sud L. Téot, France; A. Marroni, Italie (Secrétaire). 

Questions adressées au Jury

  1. Quels sont l’incidence et le coût des plaies à cicatrisation retardée ?
  2. Quelles sont les modifications tissulaires induites par l’hypoxie conduisant à une cicatrisation retardée ?
  3. Quelles sont les méthodes utilisables en pratique clinique, permettant d’évaluer la responsabilité d’une hypoxie tissulaire dans une plaie de cicatrisation retardée ?
  4. Quels sont les arguments permettant de proposer l’ajout d’un traitement par oxygénothérapie hyperbare au traitement conventionnel chez un patient porteur d’une plaie de cicatrisation retardée ?
  5. Quels sont les patients porteurs d’une plaie de cicatrisation retardée les plus susceptibles de bénéficier de l’utilisation de l’oxygénothérapie hyperbare ?
  6. L’oxygénothérapie hyperbare est-elle efficace pour réduire le coût de la prise en charge des patients avec une cicatrisation retardée ?
  7. Quelles études doivent être menées dans les prochaines années pour réduire les controverses restant ouvertes ?

Recommandations

Après avoir écouter les rapports présentés par les experts et avec l’assistance des personnes ayant analysé la littérature, le Jury a discuté tous les arguments présentés et a élaboré ces recommandations pour la pratique clinique. De façon à estimer la force des arguments présentés, le Jury a utilisé cette échelle :

  • niveau 1 : forte évidence,
  • niveau 2 : évidence convaincante,
  • niveau 3 : évidence existante mais faible,
  • niveau 4 : évidence de type anecdotique.

De même, le jury a voulu montrer la force avec laquelle il estimait que ses recommandations devaient être suivies en utilisant cette échelle :

  • Type I : Fortement recommandé. Recommandations basées sur des évidences de niveau 1,
  • Type II : Recommandé. Recommandations basées sur des évidences de niveau 2,
  • Type III : Optionnel. Recommandations basées sur des évidences de niveau 3.

QUESTION 1. Quels sont l’incidence et le coût des plaies de cicatrisation retardée ?

  • Lésions des pieds chez les patients diabétiques : Les lésions des pieds concernent annuellement 6,8 % des patients diabétiques (USA). Le coût total sur une période de 3 ans atteint 26 700 USD pour un patient où il existe une composante ischémique, 16 100 USD pour un patient sans composante ischémique, 43 100 USD pour un patient lorsqu’une amputation mineure est nécessaire et 63 000 USD en cas d’amputation majeure (Suède).
  • Ulcères d’origine veineuse : L’incidence s’accroît avec l’âge atteignant 3 à 5 % de la population au-dessus de 65 ans et 12 % au-dessus de 70 ans (Suède). Les conséquences en terme de coût au niveau national sont estimées être de l’ordre de 5 milliards d’Euros (Allemagne).
  • Ulcères d’origine artérielle : Environ 4,5 % de la population au-dessus de 40 ans est atteint d’une artériopathie périphérique entraînant une ischémie chronique des membres inférieurs (USA). La prévalence de l’ischémie chronique des membres (ICM) atteint 0,1 à 0,24 % des habitants des pays occidentaux (Allemagne, Norvège). Les projections en terme de conséquences financières atteignent 17 000 USD par patient atteint d’une ICM (coût hospitalier uniquement) ; à 5 ans, le coût (sans compter les tentatives de revascularisation antérieure) atteint 111 000 USD par patient avec une amputation majeure , 77 600 USD par patient sans amputation , 213 000 USD par patient nécessitant une amputation majeure immédiate.
  • Escarres de décubitus: L’incidence des escarres dépend directement de celle des hospitalisations, institutionnalisations et des immobilisations. Les projections concernant l’incidence annuelle sont de 16,8 % des patients hospitalisés (Japon). Les conséquences financières au niveau national atteignent 1,4 à 2,1 milliard de Livre Sterling (Royaume-Uni).
  • Radionécroses : L’incidence des lésions des tissus sains induites par les radiations ionisantes au niveau osseux et des tissus mous est de l’ordre de 5 % de la population irradiée. 

Quoique mal connues, les conséquences en terme de coût sont sûrement élevées.

QUESTION 2. Quelles sont les modifications tissulaires induites par l’hypoxie conduisant à une cicatrisation retardée ?

  • L’oxygène est un facteur important dans le processus de cicatrisation.
  • L’hypoxie interfère avec de nombreux processus impliqués dans la cicatrisation et plusieurs de ces relations peuvent être estimées ou modélisées mathématiquement.
  • Il existe des preuves expérimentales in vitro et in vivo de même que des études cliniques établissant une relation entre la quantité d’oxygène disponible et les processus de cicatrisation. C’est au cours de la phase inflammatoire que les besoins en oxygène sont les plus importants (niveau 1).
  • La présence d’oxygène réduit l’oedème au niveau de la plaie (niveau 1).
  • La microbicidie est un processus dépendant de l’oxygène. Elle est maximale à des niveaux de plusieurs centaines de millimètres de mercure et elle devient quasi nulle en hypoxie. Il existe des preuves de la relation entre hypoxie et infection des plaies, que ce soit dans des études à l’échelon cellulaire, animal et en clinique humaine (niveau 1). Les questions restant ouvertes concernent les espèces bactériennes les plus sensibles aux conséquences de l’hypoxie et les paramètres cliniques concernés (par exemple, CRP, fibrine, procollagène, globules blancs, neutrophiles).
  • L’angiogénèse, bien qu’antérieurement dite être induite par l’hypoxie, semble directement liée à l’oxygène par l’intermédiaire de la concentration locale en lactate. L’angiogénèse disparaît quasiment complètement pour des pressions tissulaires d’oxygène inférieures à 10 mmHg. Dans les situations cliniques où il existe un déficit en oxygène, le tissu de granulation n’est pas formé. Les preuves concernant les effets de l’oxygène sont de niveau 1 dans les études fondamentales et de niveau 2 dans les études animales et cliniques.
  • La production de collagène est maximale à 250 mmHg de pO2 et disparaît quasiment complètement en situation d’hypoxie clinique sévère (Km = 25 mmHg pO2). La mobilité cellulaire disparaît avec la chute de la production énergétique intracellulaire qui survient à des niveaux égaux ou inférieurs à 10 mmHg de pO2. Il existe des preuves apportées par des études fondamentales, animales et cliniques montrant que l’oxygène est requis pour la synthèse du collagène et sa résistance mécanique (niveau 1).
  • 8. Il n’existe pas actuellement de donnée sur la relation entre oxygène et apoptose des myofibroblastes dans la phase de remodelage.

QUESTION 3. Quelles sont les méthodes utilisables en pratique clinique permettant d’évaluer la responsabilité d’une hypoxie tissulaire dans une plaie de cicatrisation retardée ?

  • Actuellement, il n’existe pas de technique permettant en pratique clinique d’évaluer directement l’hypoxie tissulaire et ses conséquences sur le métabolisme cellulaire. La Spectrophotométrie de Reflectance dans le proche infra rouge (NIRO) permet de mesurer à la fois la pression tissulaire d’oxygène et l’état d’oxydo-réduction du cytochrome a-a3 dans les cellules. Cependant, cette dernière mesure n’est pas encore validée en pratique clinique.
  • Il existe des techniques qui sont plus d’un usage de recherche que de pratique clinique :
    • Techniques d’imagerie comprenant la TEP et des techniques dérivées de la résonance magnétique nucléaire.
    • Mesures directes de la pression en oxygène tissulaire utilisant par exemple des électrodes polarographiques introduites dans le tissu sous-cutané. Ces techniques sont invasives et dès lors, peu attractives en pratique clinique.
  • Il existe des techniques qui permettent d’évaluer une diminution de la perfusion tissulaire, permettant ainsi d’en déduire des informations sur l’état d’hypoxie tissulaire. Elles incluent :
    • L’évaluation clinique comprenant la mesure de la pression à la cheville et aux orteils, utilisant des appareils à effet Doppler portable, et qui fait partie de l’évaluation de routine des patients.
    • Des techniques d’imagerie incluant l’ultrasonographie Duplex, l’artériographie, l’imagerie par résonance magnétique nucléaire. Ces techniques sont utilisées principalement dans l’évaluation du patient concernant les possibilités de revascularisation.
  • D’autres techniques évaluent la perfusion locale et incluent des méthodes basées sur :
    • la clairance de différents indicateurs,
    • la thermographie avec clairance thermique,
    • la fluxmétrie laser-Doppler et les techniques d’imagerie dérivée,
    • les mesures transcutanées des pressions d’oxygène et de CO2.

L’interprétation des résultats fournis par ces techniques permet d’évaluer l’altération de la perfusion locale. Chacune de ces techniques explorent des aspects différents de la microcirculation et apporte des informations différentes quoique complémentaires. Toutes ces techniques requièrent des protocoles stricts d’utilisation pour donner des résultats fiables. Devant une lésion du pied chez un patient diabétique, l’évaluation de la viabilité du pied par la mesure de la pression transcutanée d’oxygène est soutenue par des preuves d’au moins niveau 3 et peut être même de niveau 2.

QUESTION 4. Quels sont les arguments permettant de proposer l’ajout d’un traitement par oxygénothérapie hyperbare au traitement conventionnel chez un patient porteur d’une plaie de cicatrisation retardée ? 

  • L’oxygénothérapie hyperbare (OHB) n’est pas indiquée dans les situations où une cicatrisation normale est prévue. Sa place est restreinte aux situations où il existe une cicatrisation perturbée ou retardée.
  • Une plaie de cicatrisation retardée est une plaie aigue qui ne cicatrise dans un intervalle de temps normal (4 à 6 semaines) dans des conditions de prise en charge standard ou usuelle.
  • Parmi les facteurs qui peuvent causer un retard de cicatrisation, beaucoup impliquent des altérations soit systémiques, soit locales de la délivrance d’oxygène au niveau de la plaie.
  • Un facteur clé pour obtenir une cicatrisation normale est d’optimiser la concentration d’oxygène dans et autour de la plaie.
  • L’oxygénothérapie hyperbare peut être utilisée quand la prise en charge standard ne permet pas d’obtenir les concentrations d’oxygène nécessaires pour une cicatrisation normale.

Les arguments pour l’usage de l’oxygénothérapie hyperbare sont sa capacité non seulement à corriger l’hypoxie mais aussi à augmenter la perfusion tissulaire, à stimuler la réparation tissulaire et à traiter ou prévenir une infection.Les niveaux d’évidence sont de niveau 1 pour les études fondamentales, de niveau 2 pour les études animales avec groupe contrôle et de niveau 2 à 3 pour les études humaines.La recommandation d’adjoindre l’oxygénothérapie hyperbare au traitement standard dans les plaies à cicatrisation retardée est de type II.

QUESTION 5. Quels sont les patients porteurs d’une plaie de cicatrisation retardée les plus susceptibles de bénéficier de l’utilisation de l’oxygénothérapie hyperbare ?

  • Avant de considérer un patient pour un traitement par oxygénothérapie hyperbare, une évaluation clinique complète est nécessaire avec correction des facteurs systémiques et locaux responsables du retard de cicatrisation. Ceci inclut l’arrêt du tabac, les mesures de décharge, le contrôle glycémique, etc. (Recommandation de type I).
  • La possibilité de revascularisation doit être considérée et réalisée si elle est possible ou la possibilité de réalisation être exclue. (Recommandation de type I).
  • Les deux grandes raisons qui justifient d’utiliser l’oxygénothérapie hyperbare en plus du traitement conventionnel sont l’infection (par exemple : cellulite périulcéreuse, infection osseuse ou articulaire) et l’ischémie. Quand l’oxygénothérapie hyperbare est utilisée pour corriger l’ischémie (l’hypoxie) de la plaie, cette hypoxie et sa correction par l’oxygénothérapie hyperbare doit être mise en évidence en utilisant des méthodes objectives de mesure (Recommandation de type I).
  • Actuellement, il existe des preuves fiables pour affirmer l’utilisation de l’oxygénothérapie hyperbare est efficace pour réduire les amputations majeures chez des patients diabétiques avec des lésions du pied (niveau 2).
  • Pour les plaies des membres inférieurs d’autres étiologies, il existe un manque de preuve fiable concernant l’efficacité de l’OHB (niveau 3).

QUESTION 6. L’oxygénothérapie hyperbare est-elle efficace pour réduire le coût de la prise en charge des patients avec une cicatrisation retardée ? 

  • Pour déterminer si l’oxygénothérapie hyperbare est efficace pour réduire le coût de la prise en charge de patients avec une cicatrisation retardée, certaines hypothèses doivent être faites pour simplifier les calculs. De nouvelles études sont nécessaires pour conclure fermement. Pour le temps présent, il est estimé que les études dont on dispose, concernant l’oxygénothérapie hyperbare sont au moins de même niveau que les études économiques sur lesquelles sont basées les décisions dans d’autres domaines de la santé.
  • En se basant sur des projections utilisant la formule de Persels appliquée aux données actuellement disponibles, une économie significative peut être anticipée en utilisant l’oxygénothérapie hyperbare en plus de la prise en charge standard dans le traitement des infections nécrosantes, les lésions des pieds chez les patients diabétiques et des lésions induites par les radiations ionisantes comme actuellement recommandée par l’ECHM et l’UHMS. Le nombre de séances d’oxygénothérapie hyperbare a un impact important sur l’ampleur des économies réalisées.
  • Des recommandations concernant la pratique clinique sont nécessaires pour assurer une efficacité économique optimale. Basée sur ces résultats, l’OHB dans les plaies de cicatrisation retardée, apparaît être non seulement efficace en terme clinique, mais également pour réduire le coût général pour le budget santé national, les conséquences sociales liées à ces maladies et offrir une meilleure qualité de vie.

QUESTION 7. Quelles études et actions doivent être menées dans les prochaines années pour réduire les controverses restant ouvertes ?

  • Généraliser les mesures de concentration d’oxygène dans la plaie et les tissus normaux (Recommandation de type I).
  • Les professionnels travaillant dans les Centres d’Oxygénothérapie Hyperbare intéressés dans la prise en charge des problèmes de cicatrisation, doivent être éduqués de façon appropriée dans le domaine de la cicatrisation et utiliser les outils déjà développés de façon à quantifier les résultats obtenus en clinique (Recommandation de type I).
  • Les personnels impliqués dans la prise en charge des plaies comme ceux de médecine hyperbare doivent être associés au sein d’équipes multidisciplinaires comprenant en outre des spécialistes d’autres domaines et des scientifiques fondamentaux (Recommandation de type I).
  • Les personnels médicaux impliqués dans la prise en charge des plaies comme ceux de médecine hyperbare, doivent recevoir une formation à la recherche fondamentale et clinique de façon régulière et continue (FMC) (Recommandation de type I)
  • Les relations entre l’European Committee for Hyperbaric Medicine (ECHM) et l’European Society of Tissue Repair (ETRS) doivent être continuées en poursuivant deux objectifs :
    • établir un réseau de centres et d’équipes impliqués dans la recherche fondamentale et clinique concernant les relations entre oxygène et cicatrisation (recommandation de type I),
    • l’organisation de réunions scientifiques et de séminaires dédiés à l’éducation et à la recherche fondamentale et clinique (Recommandation de type I).
  • Des moyens d’échange d’informations et de personnels entre les équipes s’intéressant à l’oxygénothérapie hyperbare et celles s’intéressant à la cicatrisation devraient être mis en place (Recommandation de type I).