L’efficacité de l’oxygénothérapie hyperbare dans le traitement des lésions des tissus sains induites et les radiations ionisantes

Chirurgie, radiothérapie et chimiothérapie cytotoxique sont les principales méthodes employées dans le traitement des tumeurs cancéreuses. Bien que toutes trois aient atteint actuellement un niveau d’efficacité important, toutes comportent aussi un certain nombre de risques en terme de mortalité et de morbidité. La radiothérapie diffère des deux autres modes de traitement dans ce que ses effets secondaires les plus sérieux tendent à apparaître des mois et souvent des années après la fin du traitement et que leur prise en charge est fréquemment difficile et insatisfaisante.

Introduction

Au sein de l’Union Européenne, on peut estimer qu’il existe cinq millions de personnes survivant à cinq ans et plus après avoir reçu un traitement par radiations ionisantes en tant que méthode thérapeutique principale ou complémentaire pour une tumeur maligne. Bien qu’une large majorité de ces personnes soit en bonne santé avec peu ou aucune complication liée au traitement reçu, une proportion d’environ 5 % de ces patients peut présenter des manifestations cliniquement symptomatiques liées à des modifications tardives dues à 4a radiothérapie. Une proportion pouvant atteindre 1 % (ce qui peut représenter environ 50 000 personnes) peut ressentir des manifestations sévères, résistantes aux mesures thérapeutiques simples, habituelles.

La prise en charge de ces lésions peut nécessiter des traitements chirurgicaux additionnels importants de même que des périodes d’hospitalisation prolongées. Le retentissement personnel et social de ces lésions peut être extrêmement handicapant et la plupart des patients atteints sont incapables d’avoir une vie professionnelle et sociale normale.

Le mécanisme principal impliqué dans l’apparition des lésions radio induites est une oblitération de la micro vascularisation conduisant à une hypoxie tissulaire. L’oxygénothérapie hyperbare (OHB) a donc été utilisée dans le traitement de ces patients. Dans les quarante dernières années, de nombreuses publications concernant plusieurs milliers de patients, ont rapporté un effet bénéfique de cette thérapeutique.

Cependant, la littérature médicale sur ce sujet est constituée soit par des séries cliniques ne comportant qu’un nombre modeste de patients, soit par de simples cas cliniques. Il existe de nombreuses incertitudes quant à la place de l’oxygénothérapie hyperbare dans le traitement des lésions radio induites. L’importance de ce problème a conduit la Société Européenne de Radiologie Thérapeutique et d’Oncologie et le Comité Européen pour la Médecine Hyperbare à organiser de façon conjointe une Conférence de Consensus de façon à ce que les arguments présentés puissent être analysés et des recommandations élaborées pour la pratique clinique.

Questions :

  • Quelle est l’incidence et le coût des lésions radio induites dans les tissus normaux ?
  • Quelles sont les modifications tissulaires induites par la radiothérapie qui aboutissent à une perturbation des mécanismes de la cicatrisation dans les tissus atteints de lésions radio induites ?
  • Quelles sont les bases sur lesquelles s’appuie l’utilisation de l’oxygénothérapie hyperbare dans le traitement des lésions radio induites ?
  • Quelles sont les localisations des lésions radio induites dans lesquelles l’oxygénothérapie hyperbare a montré son efficacité ?
  • L’oxygénothérapie hyperbare peut-elle jouer un rôle dans la prévention des lésions radio induites ?

Déroulement de la Conférence

Après avoir entendu les rapports présentés par les Experts, un Jury composé de personnes ayant une compétence particulière dans les domaines médicaux concernés, a répondu à six questions couvrant les divers aspects du problème.

Le Jury et les participants à la Conférence furent d’abord informés de l’état de la littérature médicale par des revues extensives :

  • Lésions radio induites des tissus normaux: incidence, facteurs de risque et traitement conventionnel, Docteur David Pasquier, Centre Oscar Lambret, Lille, France
  • Oxygénothérapie hyperbare dans les radionécroses (une revue de la littérature), Docteur Jorg Schmutz, Centre Hyperbare, Bâle, Suisse.

Neuf experts avaient préparé des rapports écrits souvent en collaboration avec des collègues et en ont donné une présentation orale lors du premier jour de la Conférence :

  • Professeur Michael Baumann, Cari Gustav Carus, Dresde, RFA, Incidence, facteurs de risques et coûts des lésions radio induites des tissus normaux (rapport écrit par: Baumann, M. & Holscher, T.)
  • Professeur Bernard Dubray, Centre Henri Becquerel, Rouen, France, Bases physiopathologiques des lésions radio induites des tissus normaux (rapport écrit par: Dubray, B. Lefaix, J-L. Martin & M. Delanian, S.)
  • Professeur Gosta Cranstrom, Gôteborg Universitat, Göteborg, Suède, Bases physiopathologiques de l’utilisation de l’OHB dans le traitement des troubles de la cicatrisation induits par les radiolésions des tissus normaux (rapport écrit par: Granstrom, G.)
  • Professeur Johannes Van Merkesteyn, Leiden University Medical Center, Pays-Bas, Oxygénothérapie hyperbare dans le traitement de l’ostéoradionécrose (rapport écrit par: Van Merkesteyn, J)
  • Professeur A J Van der Kieij, Academic Medical Center, Amsterdam, Pays-Bas, Oxygénothérapie hyperbare des radionécroses des tissus mous : Cystites radio induites (rapport écrit par: Van der Kleij, A J. De Rijke, T. Hu M.)
  • Docteur F Roque, Hospital da Marinha, Lisbonne, Portugal, Oxygénothérapie hyperbare dans le traitement des lésions intestinales radio induites d’apparition retardée (rapport écrit par : Roque, F. Saraiva, A. Simao, G. Sousa, A. Torres, P. & Sampaio, J.)
  • Professeur J Yarnold, Institute of Cancer Research, Sutton, Surrey, Royaume-Uni, Oxygénothérapie hyperbare dans la radionécrose des tissus mous : myélite et neuropathie plexulaire radio induites (rapport écrit par: Yarnold, JR. Gothard, L.)
  • Professeur John Feldmeier, Medical College of Ohio, USA, Oxygénothérapie hyperbare : a-t-elle un effet promoteur du cancer ou un effet favorisant la croissance tumorale? (rapport écrit par: Feldmeier, J.)
  • Docteur A Marroni, Centro lperbarico Ravenna, Italie, Evaluation coût bénéfice de l’oxygénothérapie hyperbare dans le traitement des lésions radio induites (rapport écrit par: Marroni, A. Longobardi, P. & Cali Corleo, R.)

Après chaque présentation eu lieu une discussion animée entre les experts et l’audience composée de 150 participants, Médecins ou Chirurgiens particulièrement impliqués dans les domaines de l’oncologie, de la radiothérapie ou de l’oxygénothérapie hyperbare.

Le matin suivant, le Jury s’est réuni pendant trois heures pour mettre au point ces recommandations, Il était composé de:

  • Stanley Dische, Président, Professeur d’Oncologie, Centre for Cancer Treatment, Mount Vernon Hospital, Royaume-Uni
  • Dirk Bakker, Professeur de Chirurgie, Academic Medical Center, Amsterdam, Pays-Bas
  • Karl Hartmann, Département de Radiothérapie Oncologique, Université de Dusseldorf, République Fédérale Allemande
  • Ferran Guedea, Département de Radiothérapie Oncologique, Institut Catala d’Oncologia, Barcelone, Espagne
  • Joaquim Gouveia, Directeur Hospital Cuf-Descobertas / Ancien Directeur Instituto Portugues de Oncologia, Lisbone, Portugal
  • Eric Lartigau, ESTRO Secrétaire Général, Professeur de Radiothérapie Oncologique, Centre Oscar Lambret, Lille, France
  • Daniel Mathieu, ECHM, Secrétaire Général, Professeur en Réanimation Médicale, Centre Hospitalier Universitaire, Lille, France

Les deux experts ayant analysé la littérature étaient également associés â celle réunion pour conseiller le Jury.

Cette réunion du Jury fut suivie d’une présentation immédiate des recommandations par le Président. Un rapport écrit fut préparé par le Président et circula entre les membres du Jury pour commentaires et modifications jusqu’à obtenir un Consensus sur les recommandations suivantes.

Recommandations du Jury

Après avoir écouté les rapportsdes experts et avec l’assistance des personnes ayant analysés la littérature, le Jury a discuté de tous les arguments présentés et a élaboré ces recommandations pour la pratique clinique.

De façon à estimer la force des arguments présentés, le Jury a utilisé l’échelle suivante Niveau 1 (forte évidence), Niveau 2 (évidence convaincante), Niveau 3 (évidence existante mais faible), Niveau 4 (évidence de type anecdotique) (cf. tableau 1).

Le Jury tient à exprimer sa reconnaissance aux 11 Experts qui ont travaillé pour recueillir et analyser l’ensemble des arguments sur lequel le Jury s’est appuyé. Tous les rapports des experts de même que l’analyse de la littérature ont été considérés par le Jury comme étant de haut niveau et seront publiés sur le site Internet de I’ESTRO ( ou de I’ECHM de façon à être accessible à tous.

Question 1 : Quelle est l’incidence et le coût des lésions radio-induites dans les tissus normaux?

Le Jury est reconnaissant au Professeur Michael Baumann pour sa revue sur le sujet. Le thème de cette Conférence était les effets que pouvait avoir l’oxygénothérapie hyperbare dans l’incidence et le traitement des effets retardés des radiations ionisantes. D’emblée, le Professeur Baumann devait préciser que la réponse à celle question était grandement influencée par les définitions et les échelles d’évaluation de ces lésions retardées. Il n’y a malheureusement pas de système d’évaluation internationalement reconnu. Les données les plus importantes ont été acquises avec le système RTOG/EORTC qui a été utilisé pendant plus de trente ans et le système LENT-SOMA qui a été développé à partir du précédent et publié en 1995. Les autres systèmes comme par exemple le glossaire franco-italien et l’approche par dictionnaire, n’ont démontré leur utilité que dans le cadre d’études cliniques randomisées. Un Consensus International sur la définition de la morbidité induite permettrait de faire progresser les connaissances dans ce domaine. La réunion Mitre, tenue à Bruxelles en Décembre 2000, a permis une analyse utile des différents systèmes qui pourraient être utilisés en pratique de routine. Une deuxième réunion aura lieu en Floride en Avril 2002 pour essayer de faire de nouveaux progrès dans ce domaine. Le Jury de la Conférence encourage fortement la poursuite des efforts pour obtenir un Consensus dans ce domaine.

Les données les plus solides quant à l’incidence de la morbidité des tratements par radiations ionisantes, proviennent des études cliniques randomisées contrôlées mais les résultats des séries consécutives peuvent également fournir des données intéressantes. Ce sujet a été analysé par le Docteur Pasquier et l’incidence rapportée par les diverses publications varie très largement selon la définition adoptée et le site considéré. Ainsi, même lorsqu’un seul site est considéré, les chiffres d’incidence peuvent varier entre moins de 1 % jusqu’à 30 %. L’incidence des radiolésions d’apparition retardée était, sans aucun doute, élevée lorsque l’on utilisait les techniques anciennes de radiothérapie en particulier les appareils à ortho voltage. Celle incidence a été réduite avec l’utilisation des appareils utilisant les hautes énergies, avec l’amélioration des techniques permettant l’immobilisation des patients, l’introduction de stratégies d’irradiation plus précises, utilisant des simulateurs et une plus grande précision dans la définition de la dose à donner et sa délivrance.

Des progrès futurs comme par exemple une définition plus précise du volume d’irradiation de façon â ce que celui-ci soit superposable au volume tumoral et l’utilisation de la radiothérapie modulée en intensité devraient également continuer à diminuer l’incidence de ces lésions radio induites dans les tissus normaux.

Cependant, d’un autre côté, un certain nombre de progrès en Onconlogie peuvent aller à l’encontre de celle tendance. La radiothérapie “conformale” a permis d’utiliser des doses d’irradiation plus élevées et donc, d’une façon inévitable, certaines zones de tissu normal seront touchées. L’administration concomitante de cytotoxiques comme traitement adjuvant rend également probable l’augmentation de l’incidence des lésions d’apparition retardée et l’évaluation quantitative des interactions entre radiations ionisantes et médicaments est difficile à prédire. L’utilisation de plus en plus fréquente de techniques chirurgicales lourdes dans le but d’obtenir une restauration fonctionnelle ou au contraire dans le cadre d’une récidive extensive, entraîne également des risques plus élevés de complication lorsqu’elles sont pratiquées dans une zone préalablement irradiée de façon importante.

La dose de radiation maximum admissible est souvent fixée au niveau qui induit des lésions retardées, d’intensité modérée ou sévère avec une incidence de 5 %. Le nombre de patients avec des lésions sévères résistantes aux mesures thérapeutiques simples, est vraisemblablement actuellement bien plus faible. Cependant, une proportion de 1 % représente encore un très grand nombre de patients nécessitant une prise en charge thérapeutique.

Les facteurs de risque sont identiques quel que soit le site considéré et incluent la dose totale d’irradiation, la période, la dose biologique effectivement délivrée qui tient compte du fractionnement en dose et en temps, le volume irradié, l’utilisation d’un traitement combinant une irradiation externe avec une irradiation intra cavitaire ou par implantation, l’utilisation d’une curiethérapie à fortes doses, l’irradiation de tumeurs situées à proximité de l’os ou intéressant l’os, la présence d’une infection, l’association à une chirurgie et la survenue ultérieure d’un traumatisme.

Bien qu’il soit souhaitable de disposer de meilleures données concernant l’incidence des lésions radio induites d’apparition retardée en pratique clinique, le niveau d’évidence sur lequel s’appuient ces observations est solide et peut être estimé au niveau 1 ou 2.

Le Professeur Baumann n’a pu trouver que très peu de données pour répondre à la question concernant le coût entraîné par ces lésions radio induites. Le Docteur Marroni, dans sa contribution concernant l’évaluation coût / bénéfice, a rapporté deux études provenant des Etats-Unis d’Amérique et concernant l’ostéoradionécrose mandibulaire, dans lesquelles le coût moyen annuel du traitement atteignait 140 000 USD. La plus grande partie de ce coût était liée aux médicaments et à l’hospitalisation et ces chiffres n’incluaient pas les coûts liés aux soins donnés à domicile, ni ceux liés à l’incapacité professionnelle. Le Docteur Marroni a également présenté des données provenant des hôpitaux italiens suggérant qu’environ 3 000 patients avaient été admis dans ces hôpitaux pendant l’année 2000 pour un diagnostic de “lésion radio induite de la mandibule et des tissus mous”. Le coût induit par ces hospitalisations représente un montant important pour le système de soins italiens. Le Docteur Marroni a également exposé quelques données suggérant que le traitement par oxygénothérapie hyperbare pourrait réduire considérablement ce coût. Le Jury est conscient de la prudence avec laquelle ces données doivent être analysées, mais en tout état de pause, elles confirment le fait que le coût induit par la prise en charge des lésions de radionécrose est extrêmement élevé et que celui-ci pourrait être réduit par l’utilisation de l’oxygénothérapie hyperbare. Cependant, celle conclusion n’est supportée que par des arguments de niveau 3.

Question 2 : Quelles sont les modifications tissulaires induites par la radiothérapie qui aboutissent à une perturbation des mécanismes de la cicatrisation dans les tissus atteints de lésions radio- induites?

Quand des tissus irradiés de façon importante sont examinés â un intervalle de quelques mois ou années après le traitement, on observe des modifications caractéristiques consistant en une raréfaction cellulaire, une fibrose et une réduction de la densité vasculaire avec un rétrécissement marqué des petits vaisseaux sanguins. Ces anomalies vasculaires aboutissent â une hypoxie. Le Professeur Granstrom a décrit les modifications qui peuvent être observées dans les tissus irradiés. Le Professeur Dubray a présenté une revue sur le sujet et a insisté sur les interrelations existant entre ces trois types de modification. Le mécanisme exact produisant ces altérations est sans aucun doute complexe et encore actuellement incomplètement compris. Les études en biologie moléculaire, ont montré que l’hypoxie pouvait déclencher des altérations au niveau de l’expression des gênes conduisant â un grand nombre d’effets. L’utilisation de l’oxygénothérapie hyperbare dans ces circonstances peut également conduire à des modifications complexes qui peuvent ne pas toutes être favorables.

Il existe des arguments provenant d’études en laboratoires et cliniques, montrant que les lésions de nécrose et de fibrose interstitielle peuvent, au moins en partie, être réversibles sous traitement médicamenteux comme l’administration de SOD ou une association de Pentoxifylline et de Vitamine E. Les mécanismes par lesquels s’exerce cette action favorable, restent obscurs et le Professeur Dubray a insisté sur la nécessité d’approfondir nos connaissances sur les mécanismes induisant les lésions retardées dans les tissus normaux irradiés.

Question 3 : Quelles sont les bases sur lesquelles s’appuie l’utilisation de l’oxygénothérapie hyperbare dans le traitement des lésions radio induites?

Ce sujet a fait l’objet d’une revue approfondie par le Professeur Granstrom. Il devait exposer les études qui démontraient qu’il y avait une augmentation de la densité vasculaire dans peau et les tissus mous irradiés lorsque l’on utilisait l’oxygénothérapie hyperbare. D’autres études, utilisant des techniques de densitométrie osseuse, devaient montrer que la formation d’os nouveau était augmentée. Dans une étude animale contrôlée, chez des lapins où des implants avaient été placés, l’oxygénothérapie hyperbare produisait une augmentation significative de la force à appliquer pour ôter ces implants. Dans une autre étude animale, l’oxygénothérapie hyperbare augmentait la capacité d’ostéo-intégration des implants. De plus, la maturation osseuse était également stimulée par l’utilisation de l’oxygénothérapie hyperbare. La cicatrisation osseuse était également montrée augmentée dans les modèles chez la souris.

Dans un autre modèle animal utilisant des lambeaux musculo-cutanés, les études expérimentales ont montré une augmentation significative de la vascularisation après utilisation de l’oxygénothérapie hyperbare. Elles démontraient que l’existence d’un gradient en oxygène important stimulait la production de facteurs angiogénétiques macrophagiques (macrophage angiogenesis factor) et de facteur de croissance produit par le macrophage (macrophage derived growth factor).

Chez les patients, il a été montré avec le même niveau d’évidence que l’hypoxie était un facteur important dans les retards de cicatrisation des plaies du fait d’une réduction de l’activité fibroblastique et d’une production moins importante de collagène. L’oxygénothérapie hyperbare en induisant une augmentation transitoire des apports tissulaires en oxygène stimule les processus d’angiogénèse et modifie ceux aboutissant à la fibrose.

Le Jury considère que ces études fournissent des bases solides pour l’utilisation de l’oxygénothérapie hyperbare dans les lésions induites par la radiothérapie. Ces évidences sont de niveau 1 et 2.

Question 4 : Quelles sont les localisations des lésions radio-induites dans lesquelles l’oxygénothéra pie hyperbare a montré son efficacité?

Ostéoradionécrose mandibulaire :

Il existe pour cette localisation un bon nombre d’arguments.

Le traitement conventionnel conservateur associe l’utilisation de solutions antiseptiques, d’analgésiques, de mesures d’hygiène buccale, d’antibiotiques parentéraux et une sequestrectomie simple. Les lésions de moins de un centimètre de diamètre au maximum guérissent habituellement, mais les lésions plus étendues se montrent réfractaires bien que les taux de cicatrisation rapportés dans la littérature soient très variés.

Quand ce traitement conservateur échoue, une chirurgie plus radicale devient indiquée consistant souvent en une mandibulectomie suivie d’une reconstruction complexe. Ces interventions exposent à des complications post-opératoires dont le retentissement peut être grand lorsqu’une quantité importante d’os irradié doit être excisée.

L’oxygénothérapie hyperbare a été utilisée dans le traitement de l’ostéoradionécrose depuis maintenant plus de quarante ans et elle est souvent employée en association avec une chirurgie radicale. Des pourcentages de réussite de 30 à 100 % ont été rapportés mais le bénéfice propre de l’OHB est difficile à fixer parce qu’un certain nombre d’autres séries utilise également un traitement chirurgical.

Il n’y a pas d’étude randomisée contrôlée concernant l’oxygénothérapie hyperbare dans ce domaine. Cependant, l’amélioration du pourcentage de cicatrisation par rapport à celui rapporté dans des séries antérieures, est impressionante. Depuis 1993, sept études ont été publiées avec des pourcentages d’amélioration de 70 à 92 % des cas dans chacune de ces séries.

Dans ces situations où il est reconnu que le traitement conservateur de lésions étendues d’ostéoradionécroses mandibulaires peut avoir au mieux un effet minime et / ou l’évolution habituelle se fait vers la progression des lésions, les résultats obtenus dans des séries de cas consécutifs traités de façon homogène peuvent être considérés comme des arguments importants. Le pourcentage de cas montrant une amélioration dans la plupart des séries est impressionnant. Le Jury pense qu’il y a ainsi des bases solides pour dire que l’oxygénothérapie hyperbare est efficace dans le traitement de l’ostéoradionécrose de la mandibule et qu’elle devrait être considérée dans la prise en charge de ces lésions quand le traitement conservateur n’a pas réussi à obtenir la cicatrisation (évidence de niveau 2).

L’ostéoradionécrose de la mandibule peut se présenter cliniquement sous de nombreuses formes et l’utilisation de l’oxygénothérapie hyperbare seule ou en association avec la chirurgie doit être décidée selon les caractéristiques de chaque cas particulier.

Ostéoradionécrose d’autres localisations :

Il existe dans la littérature médicale un certain nombre d’articles concernant le traitement d’ostéoradionécrose dans d’autres localisations que le maxillaire inférieur. Il s’agit d’ostéradionécrose intéressant le maxillaire supérieur, la colonne vertébrale et le bassin. Beaucoup de ces articles ne rapportent que des cas anecdotiques et l’interprétation des effets bénéfiques rapportés doit tenir compte qu’il existe une tendance dans la littérature médicale à ne publier que les résultats positifs et un manque d’intérêts pour, au contraire, rapporter les résultats négatifs. Cependant, comme l’effet bénéfique de l’oxygénothérapie hyperbare dans l’ostéoradionécrose de la mandibule semble établi, l’OHB peut également être considérée comme une méthode possible pour traiter des cas réfractaires dans d’autres localisations d’ost (niveau 3).

Radionécrose du larynx :

Il existe, pour cette localisation, certains arguments en faveur d’une action bénéfique. Cinq articles, rapportant un total de 45 cas, ont été publiés entre 1976 et 2000. D’une manière générale, la majorité des patients semble tirer bénéfice du traitement par OHB. Cependant, le niveau d’évidence doit être regardé comme encore insuffisant et au niveau 4. Il est donc possible d’envisager un traitement par OHB dans cette indication.

Cystite post-radiothérapie :

Dans cette localisation, il existe une littérature importante et quinze articles rapportant un total de 256 patients, ont été publiés depuis 1989. L’hématurie est le symptôme dominant, celui sur lequel a porté l’amélioration dans la plupart des cas. La pollakiurie et l’incontinence sont également améliorées dans certains cas. Le Professeur Van der Kleij a donné une revue complète sur le sujet. La cystite post-radiothérapie apparaît après une radiothérapie pour tumeur pelvienne avec une incidence variant de moins de 1 % à plus de 30 %. Cependant, cette incidence est très dépendante du protocole de radiothérapie délivrée et des critères utilisés pour relever les complications.

Le traitement conservateur comprend la prescription d’antibiotiques, de corticostéroïdes, des transfusions sanguines, des irrigations vésicales et le Tocopherol. Le stade suivant consiste en l’irrigation vésicale avec de l’alun ou une instillation avec des solutions formolées. Ces mesures peuvent être efficaces, mais l’usage de formol est associé à des complications importantes. Lorsque l’origine du saignement peut être mise en évidence et se révèle d’étendue limitée, des coagulations peuvent être faites par anses diathermiques ou par laser.

Si le traitement s’avère être un échec, il faut alors recourir à la chirurgie lourde consistant en une dérivation urinaire, une iléocystoplastie ou une cystectomie avec dérivation. Ces interventions intéressent un pelvis ayant été fortement irradié et sont associées avec un haut risque de complications.

Une revue de la littérature récente venant d’Oxford comprenant 309 références a fait le point concernant les différents traitements employés. Elle conclut à l’impossibilité d’établir des règles incontestables de traitement en l’absence d’étude randomisée.

Le Jury a cependant été marqué par le fait que chez des patients où le traitement conservateur avait été un échec et où la seule mesure thérapeutique considérée était la cystectomie totale; l’oxygénothérapie hyperbare a permis un taux de réponse élevé. De plus, quoique chez certains patients une récidive du saignement doive survenir, la plupart des patients traités par oxygénothérapie hyperbare avaient une amélioration qui se maintenait de façon prolongée. Le Jury considère donc qu’il y a des arguments convaincants (niveau 2) pour que l’oxygénothérapie hyperbare soit employée dans la prise en charge de ces patients.

Il est possible que l’oxygénothérapie hyperbare puisse avoir une place à un stade plus précoce lorsque les méthodes plus simples de traitement n’ont pas réussi à obtenir un résultat favorable. Celle proposition apparaît comme une conséquence logique des considérations précédentes mais son adoption ou non ne peut que dépendre des résultats d’une étude clinique randomisée et contrôlée.

Entérite et rectite post-radiothérapie :

Un nombre important d’études a été passé en revue lors de la Conférence et par le Jury. Quinze articles concernant 256 cas traités par oxygénothérapie hyperbare ont été retrouvés et parmi eux, dix articles concernant 116 cas pour les années 1993 à 2000. Dans la majorité de ces cas, une guérison ou une amélioration concernant des symptômes ou les manifestations cliniques a été rapportée. Dans leur revue, le Docteur Roque et ses collègues ont trouvé treize articles se rapportant à 107 cas entre 1990 et 2000, donnant une impression encore plus grande d’effets favorables. Malheureusement, l’évaluation précise de ces études est difficile car les symptômes et les constatations cliniques chez ces patients sont de façon manifeste complexes. Le Jury conclut que l’oxygénothérapie hyperbare peut être employée dans la prise en charge des entérites et des rectites post-radiothérapie, cependant celle évidence doit être vue comme restant au niveau 3.

Neuropathie plexulaire post-radiothérapie :

Le rapport du Docteur Yarnold assisté de Mme Gothard a passé en revue les myélites et les neuropathies plexulaires post-radiothérapie. Une étude randomisée contrôlée concernant 31 patients porteurs d’une neuropathie plexulaire brachiale a été effectuée par le Docteur Yarnold et ses collègues et n’a pas montré d’effet favorable. Cependant, cette étude, bien que menée avec grand soin, était considérablement sous dimensionnée quant à sa puissance.

En ce qui concerne l’utilisation de l’oxygénothérapie hyperbare pour les myélites et les encéphalites post-radiothérapie, il n’existe que des articles à propos de cas anecdotiques et il n’est pas possible d’en tirer une conviction quant à un effet favorable possible. La place de I’oxygénothérapie hyperbare dans le traitement des lésions radionécrotiques du système nerveux central est donc très largement non établi et elle ne peut dès lors pas être recommandée dans la prise en charge de ces lésions.

Autres localisations :

L’utilisation de l’oxygénothérapie hyperbare pour le traitement de lésions radionécrotiques d’autres sites comme la peau, le tissu sous-cutané, l’oeil et le sein a également été évaluée par rapport aux arguments présentés. Les arguments les plus nombreux concernaient l’atteinte du sein dont il ressort qu’il peut exister une place pour le traitement par oxygénothérapie hyperbare, mais celle recommandation doit être considérée comme faible (niveau 3).

Question 5 : L’oxygénothérapie hyperbare peut-elle jouer un rôle dans la prévention des lésions radio induites ?

Extraction dentaire en territoire irradié :

Des arguments très importants ont été rassemblés par les experts. Sur ce thème, il existe une étude clinique randomisée contrôlée effectuée par Marks et ses résultats ont été confirmés par d’autres études rapportant des séries de cas consécutifs où il y avait comparaison avec d’autres cas traités sans oxygénothérapie hyperbare. Le Jury pense qu’il existe des évidences convaincantes (niveau 1 et 2), que lorsqu’une extraction dentaire est prévue dans un territoire du maxillaire supérieur ou de la mandibule ayant reçu des doses importantes de radiothérapie, L’oxygénothérapie hyperbare réduit de façon importante le risque d’ostéoradionécrose. Quelques études ont montré que le risque d’extraction dentaire en territoire irradié était normalement si bas que l’oxygénothérapie hyperbare ne semblait pas nécessaire comme mesure préventive. Cependant, le Jury a estimé que, dans ces études, les patients qui avaient été sélectionnés, avaient reçu des doses d’irradiation modérées et ainsi ce biais de sélection pouvait avoir joué un rôle de réduction du risque â des niveaux si bas que I’oxygénothérapie hyperbare était inutile. Il s’agit ici d’un domaine où la collaboration entre Chirurg Oncologistes et Radiothérapeutes est manifestement nécessaire pour évaluer le site, son volume et la dose d’irradiation comme pour fixer les indications. C’est également manifestement un domaine où les études randomisées sont nécessaires dans le futur.

Chirurgie en territoire irradié :

Beaucoup d’arguments ont été présentés devant le Jury, établissant que le risque de complications post-opératoires pouvait être réduit par l’utilisation de l’oxygénothérapie hyperbare lorsqu’une chirurgie majeure était prévue chez des patients préalablement irradiés. Le risque d’infection et de désunion de la plaie opératoire était significativement réduit de même que le nombre de retard de cicatrisation évalué comme important. Cependant, aucune étude contrôlée randomisée n’existe dans celle indication. Le Jury pense qu’il s’agit d’un domaine où I’oxygénothérapie hyperbare peut avoir une place mais que le niveau d’évidence reste faible (niveau 3), en l’absence d’étude randomisée contrôlée, publiée dans des journaux â comité de lecture qui est une condition toujours nécessaire pour qu’une modalité thérapeutique puisse être proposée comme mesure préventive.

lmplants en tissus irradiés :

L’implantation de prothèses métalliques en tissus irradiés de façon importante est de plus en plus utilisée comme technique réparatrice chez des patients qui ont dû subir des résections extensives et une radiothérapie pour des cancers étendus.

Les études présentées suggèrent fortement que I’oxygénothérapie hyperbare puisse avoir un rôle bénéfique mais, pour la raison exposée ci-dessus, elles ne peuvent être regardées comme une évidence convaincante et restent ainsi au niveau 3. Encore une fois, la nécessité d’une étude clinique contrôlée, randomisée apparaît clairement.

Question 6 : Est-ce que I’oxygénothérapie hyperbare possède un rapport coût / efficacité satisfaisant dans ces indications?

Le fait que l’oxygénothérapie hyperbare puisse avoir un effet délétère chez un patient atteint d’une tumeur maligne était une préoccupation importante. Le Professeur Feldmeier a fait une très intéressante revue sur ce sujet. Celle question fut posée la première fois il y a plus de quarante ans lorsque des patients étaient traité par radiothérapie dans une chambre hyperbare. Le Professeur Feldmeier a revu de façon approfondie le sujet et a montré que les arguments pour penser que l’oxygénothérapie hyperbare favorisait la dissémination tumorale et augmentait l’incidence des métastases étaient extrêmement faibles. Le Jury est convaincu qu’un tel effet dé n’existe pas. Chez des patients atteints de complications liées à l’irradiation, une très grande majorité est libre de tumeurs résiduelles et dès lors, celle question ne se pose pas.

Concernant le rapport coût / efficacité, les arguments rapportés dans les revues ont déjà été analysés. Le Jury pense qu’il n’y a que peu d’arguments solides dans ce domaine et qu’il est ainsi impossible d’arriver à une conclusion. Les coûts de l’oxygénothérapie hyperbare peuvent être évalués mais il est également nécessaire de considérer les coûts personnels et humains de même que ceux engendrés par le traitement conventionnel. Le coût des complications de la radiothérapie est manifestement élevé, mais jusqu’à ce que des données cernant de plus près la réalité, soient disponibles, il n’est pas possible de déterminer si l’oxygénothérapie hyperbare a ou non un effet d’économie. L’impression du Jury est que ceci pourrait être le cas, mais il n’existe pas, à la date actuelle, d’étude permettant de le démontrer.

Domaines pour des recherches futures

La Conférence de Consensus a permis d’identifier de nombreux domaines où des recherches sont nécessaires de façon à faire progresser les connaissances et permettre des décisions basées sur des preuves concernant la place de l’oxygénothérapie hyperbare dans le traitement des complications tardives de la radiothérapie.

Le Jury pense que de nouvelles données doivent être rassemblées concernant:

  • L’incidence de la morbidité induite par la radiothérapie en routine clinique. Un système de relevé de celle morbidité simple et internationalement reconnu est un pré requis essentiel pour cela.
  • Le coût réel des complications induites par la radiothérapie.

Le Jury pense que des études cliniques randomisées contrôlées sont nécessaires dans les situations cliniques suivantes:

  • Lorsque des extractions dentaires sont prévues dans des territoires qui ont reçu une radiothérapie mais où les modifications radio induites ne sont pas importantes et donc, ne sont pas incluses dans le groupe où le Jury pense que l’oxygénothérapie hyperbare est déjà indiquée.
  • Chez des patients où une chirurgie réparatrice importante ou une implantation prothétique est prévue dans des territoires soumis à une radiothérapie â des doses importantes
  • Chez des patients atteints de cystite post-radiothérapie, après que des méthodes simples de prise en charge ont échoué, mais avant le stade où une cystectomie I dérivation urinaire soit indiquée.

Le Jury pense que toutes ces situations sont des domaines où des études cliniques peuvent être organisées et réalisées avec un haut niveau de qualité, en recrutant un nombre suffisant de patients, si elles sont menées sur une base européenne et avec une collaboration étroite entre Hyperbaristes et Radiothérapeutes associés avec les Chirurgiens amenés à opérer ces patients préalablement irradiés.

NiveauGradeDéfinition
Niveau 1Forte évidence d’action bénéfique.Au moins 2 études randomisées contrôlées, menées en double- aveugle sur de grands échantillons, concordantes entre elles, avec aucun ou seulement de faibles biais méthodologiques.
Niveau 2Evidence convaincante d’action bénéfique.Existence d’études randomisées contrôlées en double-aveugle mais avec des biais méthodologiques ou menées seulement sur de petits échantillons ou une seule étude randomisée contrôlée en double- aveugle.
Niveau 3Existence d’évidence pour une action bénéfique mais de faible portéeSeulement des études non contrôlées : contrôle historique, étude de cohorte
Niveau 4L’évidence pour une action bénéfique ne repose que sur des arguments anecdotiquesCas cliniques seulement ou biais méthodologiques ou d’interprétation empêchant toute conclusion.
Tableau 1 : Echelle utilisée pour évaluer les arguments présentés

 

Niveau de recommandationIndications
Niveau 2 — Evidence convaincanteRadionécrose du maxillaire inférieur Cystite post-radiothérapie, résistante aux mesures conservatrices.Extraction dentaire en tissu irradié (action préventive)
Niveau 3 — Existence d’évidence pour une action bénéfique mais arguments apportés faibles.Radionécrose osseuse d’autres localisations que maxillaire.Rectite et entérite post-radiothérapie. Lésions radio induites des tissus mousChirurgie et implants dans les tissus fortement irradiés au préalable (action préventive)
Niveau 4— Evidence anecdotiqueLésions radio induites du larynxLésions radio induites du système nerveux central.
Aucune évidenceAtteinte plexulaire post-radiothérapie
Tableau 2 : Indications de l’OHB dans le traitement des lésions radio induites des tissus normaux.