Le modèle de Haldane ainsi que les modèles dérivés s’intéressait à la quantification de la charge et de la décharge des tissus en azote, mais pas du tout à la genèse des bulles apparaissant de façon asymptomatique. A partir des années 70 les études portèrent davantage sur les bulles elles-mêmes.Dès 1966 Hills en Australie s’intéressa à la thermodynamique des bulles. Une publication de Hills en 1971 mettait en lumière une distinction jusque là peu développée : l’accident de type articulaire d’une part, l’accident neurologique d’autre part. En effet par simple modification du profil de remontée Hills démontra qu’il pouvait au choix induire chez le cobaye animal un accident de type articulaire ou neurologique ! La distinction trouvait dès lors toute son importance et chez les auteurs modernes on classe désormais les accidents de décompression en deux catégories : le type I (douleurs articulaires ou bends) et le type II (accident neurologique). En fait les travaux de Hills suggéraient que si les accidents de type I sont reliés à la charge d’azote reçue, donc aux modèles déterministes de type haldaniens, en revanche les accidents de type II relèvent des mauvais profils de plongée et de la production d’un surcroît de bulles artérielles. Des études sur les conditions d’équilibre des bulles intra-vasculaires furent menées, notamment par Clément au Laboratoire de Mathématiques Appliquées de l’Ecole Centrale en France, puis Yount à Hawaï à partir de 1980, et conduisirent au modèle dit VP (perméabilité variable des bulles). S’il n’a pas engendré de tables de plongée utilisables, ce modèle mit l’accent sur la notion de noyau gazeux, par opposition aux bulles, et sur le rôle de ces noyaux dans la production de bulles circulantes asymptomatiques ou pathogènes :

  • une bulle ou un noyau gazeux est une phase gazeuse limitée par une interface gaz/tissu ou gaz/liquide;
  • une bulle suit la loi de Mariotte. De diamètre allant de quelques dizaines de microns jusqu’au millimètres, elle est sphérique (du moins en milieu liquide et isotrope);
  • un noyau gazeux est de diamètre très faible (le micron). Ses variations de volume n’obéissent pas à la loi de Mariotte, de même que la perméabilité au gaz ne suit pas les lois de diffusion. En particulier, pour éliminer un noyau gazeux, il faut une pression nettement supérieure à celle envisagée habituellement pour réduire les bulles.

La théorie du volume critique des bulles fut énoncée à peu près à la même époque par Hempleman et Hennesy, et reprise d’ailleurs plus tard en France par Imbert pour évaluer l’influence des profils de plongée, à l’occasion de la conception des Tables du Ministère du Travail, dites MT92. Enfin Hennesy a proposé récemment une structuration du modèle. Il ressort de cette théorie que :

  • les noyaux gazeux sont produits en permanence dans l’organisme par cavitation (niveau cardiaque) et par frottements (tribonucléation);
  • sans exposition hyperbare ces noyaux demeurent des noyaux, mais s’ils apparaissent dans un contexte où la tension de gaz inerte environnante est plus élevée que la pression ambiante, les noyaux se transforment en bulles en se nourrissant de l’azote dissous voisin, du gaz carbonique tissulaire et de la vapeur d’eau due à la cavitation;
  • si les bulles sont générées dans les tissus articulaires (tendons…) des douleurs locales apparaissent ; c’est l’accident de type I;
  • si les bulles sont générées dans les capillaires, elles vont être transportées jusqu’au filtre pulmonaire. Et là l’accumulation des bulles entraîne une baisse de la performance du filtre pouvant aller jusqu’à des « shunts » pulmonaires.

Or si une bulle est réinjectée dans la circulation artérielle, elle peut migrer en aval vers le système nerveux, lequel est déjà chargé en azote dissous à cause de sa richesse en lipides. Dans un tel site la bulle n’aura qu’à se nourrir d’azote, grossir, provoquer l’ischémie du tissu et enfin l’accident neurologique : le type II. Il faut ajouter les shunts cardiaques comme facteurs favorisants, avec le foramen ovale pour lequel il y aurait perméabilité. En effet des travaux en 1992 de Cross, Evans, Thomson, Lee et Shields font états que 30% environ de la population présente un foramen ovale plus ou moins perméable. L’importance des mauvais profils de plongée (remontées trop rapides, profils yo-yo, successives rapprochées, plongées en dents de scie) est enfin expliquée dans l’apparition des accidents de type II :

  • d’une part les remontées trop rapides engorgent le filtre pulmonaire en bulles et donc peuvent entraîner des shunts pulmonaires et des passages vers la circulation artérielle puis le système nerveux;
  • ensuite les recompressions intempestives réduisent, la loi de Mariotte oblige, le volume des bulles agglomérées dans le filtre pulmonaire, et favorisent le passage vers le système artériel. Se trouvent ainsi légitimés des conseils largement connus depuis longtemps des plongeurs, mais mal argumentés jusque là :
    • remonter lentement;
    • éviter les profils inversés, c’est-à-dire avec faible profondeur en début de plongée et profondeur plus importante en fin de plongée;
    • éviter les yo-yo, plongées en dents de scie, et les successives rapprochées.


Références :

  • Hennesy, On the site of origin, evolution and effects of decompression microbubbles. Proceeding of the International Symposium on supersaturation and bubble formation in fluids and organism. June 1989
  • Hills, A thermodynamic and kinetic approach to decompression sickness. Ph.D.Thesis, Adelaïde, 1966
  • Imbert JP & Bontoux M, A method for introducing new decompression procedures. UHMS Workshop on Validation of Decompression Schedules. Bethesda, Maryland, 1987
  • Yount, Application of a bubble formation model to decompression sickness in rats and humans. Aviat. Space Environmental Medecine, 1979